il y a eu deux sortes de papes. Les uns sont des esprits mâles et comme le noble vieillard qui règne aujourd’hui au Vatican, ils sont conduits par leur raison ; ils unissent la prudence à la volonté, l’autorité du caractère au souverain bon sens. D’autres, se souvenant que l’église est une femme, sont un peu femmes eux-mêmes, et gouvernés par leurs nerfs, c’est par leurs nerfs qu’ils voudraient gouverner le monde. Pie IX passait facilement de la colère aux larmes, des larmes au sourire. Personne n’avait l’imagination plus vive et plus mobile, une sensibilité plus orageuse, des attendrissemens plus dangereux, et ne plaidait avec plus d’art ces raisons du cœur que la raison n’entend pas. Il était impossible au surplus de négocier secrètement avec lui ; il disait tout, et Rome, deux heures après, était dans le secret. Le duc de Gramont s’en plaignait : « Sa loquacité devient fâcheuse et son indiscrétion n’a plus de bornes. Que serait-il sans le prestige de la tiare et sans la vénération que commandent les vertus chrétiennes qu’il possède au plus haut degré ? On dirait par momens qu’il s’éloigne de ce monde pour se rapprocher de l’autre… Quelques heures après que le cardinal Antonelli, lui ayant fait part de notre entretien, l’avait averti de l’engagement réciproque que nous avions pris de tenir la chose secrète, il racontait tout à un simple capitaine du 25e de ligne, qui lui avait demandé une audience ! Il est superflu d’ajouter que de là à l’antichambre du pape et aux carrefours de Rome il n’y avait qu’un pas, qui fut lestement franchi. »
À l’intempérance des propos le pape Pie IX joignait cette mysticité sentimentale et pathétique, sur laquelle les argumens les mieux déduits, les longues discussions, les conseils et les remontrances n’ont point de prise. Les mystiques ont de secrètes communications avec le ciel, et à tous les raisonnemens ils opposent les décrets de la Providence et cette divine folie qui est plus sage que toutes les sagesses de la terre. On engageait Pie IX à sacrifier une partie de ses états pour conserver plus sûrement le reste, à se contenter d’un jardin dont la possession lui serait garantie par toutes les puissances de l’Europe. Il répondait : Non possumus ! On lui demandait d’accepter les faits accomplis et de sauver les principes par des réserves. Il répondait de nouveau : « Non possumus ! Je trahirais les intérêts du ciel et de l’église. Les pierres elles-mêmes vous le crient : res clamat ad Dominum. » M. Thouvenel, à qui on rapportait ces propos, remarquait fort sagement, mais fort inutilement, « que la politique des hommes ne consiste que dans l’art des transactions, qu’y introduire l’inflexibilité des dogmes, c’est marcher aux abîmes. » Mais Pie IX méprisait la politique des hommes, et il aurait cru pécher contre le Saint-Esprit en consacrant l’injustice par ses résignations. Peut-être avait-il raison : s’il avait fait les concessions qu’on lui demandait, il se serait