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son âme ce que l’éther serait pour sa poitrine si elle habitait la cime des Alpes. » Le vaste amour des hommes qui animait Mme de Krüdener ressemblait aussi peu que possible à l’égoïsme érotique. Un peu de coquetterie mondaine se mêlait pourtant à son mysticisme ; elle s’enfermait avec Jean-Paul dans son cabinet de toilette pour le peigner, le parer, l’initier au ton poli de la société de Berlin et le rendre plus irrésistible.

Mme de Genlis, entendant à Berlin vanter l’auteur illustre qui avait traduit dans la forme du roman les plus beaux sentimens et les principes les plus vertueux, dit : « Alors, nous nous ressemblons tous les deux. Il faut que nous nous épousions. Nous sommes faits l’un pour l’autre. » Elle vit Jean-Paul et lui parla ainsi : « On m’a dit de vous, monsieur, que vos écrits sont religieux et moraux. Les miens sont de même. Je suis heureuse de saluer un écrivain qui suit la même direction que moi. »

Une autre Française, une autre femme-auteur, d’une gravité comique, c’était Joséphine de Sydow, élevée dans les principes de Rousseau, « qu’elle avait sucés avec le lait. » Ayant refusé l’époux choisi pour elle par ses parens, elle avait épousé M. de Montbard ; mais elle s’en lassa vite, et rencontrant à Berlin, où elle avait suivi son mari, M. de Sydow, chef d’un escadron de hussards du régiment de Blücher, elle divorça et l’épousa. C’était un mari volage. Elle offrit son cœur à Jean-Paul : « Au moins je ne mourrai pas sans avoir connu un mortel digne de mes adorations. » Elle était faite pour s’entendre avec lui, ne croyant point à la durée de l’amour « après la possession. » C’était bien ainsi que Jean-Paul le comprenait : « O Joséphine, ma sœur ! je serai ton frère. Nous nous aimerons non-seulement plus purement, mais encore plus longtemps que les autres. » Cependant elle reçut un coup violent au cœur lorsqu’il lui annonça son mariage. Sans doute elle protesta noblement que d’avance elle ajoutât sa fiancée, mais elle ajouta : « Je ne te verrai point sans frémir former ces nœuds dangereux. »

Le mariage était bien la fin pratique que Jean-Paul poursuivait dans ses exercices d’amour, tout en travaillant à recueillir de la matière pour ses romans ; mais la grande difficulté restait toujours de trouver une femme exempte » d’égoïsme érotique et sentimental. » Il crut un instant l’avoir rencontrée dans la personne d’Emilie de Berlepsch, qui lui fit la cour en même temps que la femme d’un rabbin. Mme Bernard. Celle-ci ne fut pas longtemps dans ses papiers ; elle en était tout à fait indigne. Cette juive matérielles ne comprenait rien à une affection platonique capable de s’épancher à la fois auprès d’elle et auprès d’Emilie. Elle ne ménagea point sa rivale, plus âgée qu’elle. Jean-Paul réprimanda sévèrement ce manque