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excellent cœur du monde. » L’inconséquence, cette bonne divinité qui sans cesse nous protège contre les méchans tours que nous jouerait notre logique, est venue aussi sauver Jean-Paul. S’il avait rigoureusement appliqué tous les principes de sa rhétorique absurde, il est trop évident que pas une page de ses écrits ne serait lisible; mais son génie (entendons simplement par ce mot, comme nos pères, les qualités innées) valait bien mieux que ses doctrines, et il a même fallu que ce génie naturel fût singulièrement heureux, sain et fort pour n’avoir pas souffert davantage de l’exécrable discipline à laquelle nous l’avons vu soumis. L’expérience et la réflexion l’instruisirent enfin peu à peu. Le contact du monde « purifia » jusqu’à un certain point son « goût, » dont Goethe attribuait la bizarrerie aux mauvaises leçons de la solitude, et il eut des éclairs de raison dans lesquels il vit et comprit très bien les défauts de ses compositions et l’extravagance de son système. « Dès que l’effort devient visible, écrit-il lui-même dans sa Poétique avec une justesse de sens et un bonheur d’expression qui ne laissent rien à désirer, il a été inutile; l’esprit cherché ne peut pas plus passer pour de l’esprit trouvé, que le chien de chasse ne peut passer pour le gibier. » Il faisait, dans une lettre familière, cette confession : « Toutes mes fautes dans l’art d’écrire sont venues de la fausseté de mes principes critiques. Si j’avais écrit plus vite, avec moins d’effort, sans vouloir faire entrer de force dans n’importe quel sujet tout ce qui était dans ma tête et dans mes cahiers, il y a longtemps que j’aurais écrit, comme dans Fixlein et dans Siehenkäs, , qui doivent leur valeur à ce fait, que je me hâtais comme un larron qui fuit. »

Les derniers volumes du Titan, dans lesquels l’écrivain finit par se lasser de l’emploi des procédés humoristiques, offrent avec les premiers une différence avantageuse, et Jean-Paul disait (en se vantant d’ailleurs) que dans le quatrième il n’y avait « plus une seule faute, c’est-à-dire plus un seul je. » La fin du roman est en effet, contrairement à l’usage, la partie où il y a le plus à louer. Roquairol, espèce de sombre génie du mal, qui joue dans ce mélodrame le rôle du traître, se dresse seulement alors dans toute sa hauteur titanique, justifiant peut-être le titre de l’ouvrage, qui reste inexpliqué, et dont on serait vraiment bien bon de discuter le sens. Jusque-là, le caractère de Roquairol manquait d’unité. Nous ne savions pas au juste si c’était un monstre. Il est très vrai que le mal pur et sans compensation, un Macbeth sans conscience, un Richard III sans courage, un don Juan sans bravoure, ne serait pas plus dramatique que l’absolue perfection morale ; la Poétique de Jean-Paul est d’accord sur ce point avec celle d’Aristote : « Le diable, pour être poétique, dit-elle fort pertinemment, revêt le masque de la beauté. » Mais les