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par découvrir un peu de fond solide ; jusqu’ici il n’a encore trouvé que des formes vides, dans lesquelles, Dieu aidant, il fera plus tard entrer quelque chose. C’est le moment de tenter une description de ce style, qu’on a appelé «inimitable» et «unique,» sans doute parce qu’il ne s’est rencontre personne d’assez laborieusement absurde pour en appliquer toutes les recettes ; car ce qui est artificiel à ce point est en soi très susceptible d’imitation.

Comme pour tous ceux qui sont des stylistes, c’est-à-dire plus et moins que des écrivains, la grande affaire pour Jean-Paul n’est pas de donner à ses pensées leur expression adéquate, mais de détourner vers les mots, par la disproportion étudiée du fond et de la forme, l’attention du lecteur qui d’elle-même se porte vers les choses. Seulement il y a des degrés dans la violence qu’on peut exercer sur notre attention. La plupart des acrobates du style se contentent, pour qu’on les regarde, de prendre des poses ou bien de faire des mines et des grâces, et quelquefois ils descendent de la corde roide, parlent tout uniment et disent : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles et me donnez mon bonnet de nuit. » Jean-Paul, pour que nous l’écoutions, fait un vacarme de tous les diables, nous tire dans les oreilles, dans les yeux, des fusées, des pétards qui nous assourdissent, nous aveuglent, nous font voir trente-six chandelles, et il se croirait déshonoré s’il disait la moindre chose simplement. Il appelle les lunettes « les béquilles de la vue; » la grêle, « les balles de fusil de l’atmosphère qui fait feu. » eut-il dire d’un poète qu’il unit la grossièreté à la délicatesse, il s’écrie : «Sur la même langue s’embrassaient le chant du séraphin et les plaisanteries du cabaretier. » Boire délie la langue que manger enraye ; cela se dit dans la langue de Jean-Paul : « Les vins sont la synovie de la langue, la nourriture en est le sabot. » Même dans les notes qu’il donne à ses élèves il s’évertue à être ingénieux : « Léon et George ont fait pousser dans la serre chaude de leur chambre toute une orangerie de fruits. » — « Faisons assavoir par les présentes que le nommé Charles a déposé chez le soussigné vingt-quatre pages de dissertation sortant de sa manufacture. » — Une petite fille, à qui il apprenait aussi l’esprit comme aux garçons, avait fait, en mangeant, des taches sur sa robe : « l’enfant a sur sa robe quelques taches de plus que la lune ; fasse le ciel qu’elle cesse enfin d’imiter avec cuillères et fourchettes les impressions sur étoiles! »

Le style jugé le pire par une telle rhétorique, c’est précisément le meilleur, celui qui présente un miroir à la nature, rend les objets avec le plus de fidélité et se ressent le moins des conditions relatives où est placée la personne de l’écrivain. « Point de récit monotone et suivi ‘platt), mais des exclamations,