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en même temps des impressions profondes, dont le vivant souvenir fera plus tard de ses romans de Siebenkäs et de Quintus Fixlein les meilleurs et les moins factices de ses ouvrages.

Trois bonnes âmes, un pasteur, un fermier et un maître de forges, compatissant à la triste situation de la famille Richter, offrirent à Jean-Paul de diriger l’éducation de leurs enfans. Il accepta, voyant dans cette façon de gagner sa vie un emploi conciliable avec le seul objet de l’existence telle qu’il la rêvait, lire, écrire, compiler, et il fut bien le pédagogue le plus paradoxal, le plus extraordinaire de tous ceux qui ont jamais conçu l’instruction et l’éducation de l’homme comme une affaire purement «livresque. » L’objet de la pédagogie étant à ses yeux de former des écrivains, et des écrivains spirituels (Bildung zam Witz), sa méthode pour atteindre ce but consistait premièrement à faire copier à ses élèves de longues pages empruntées aux auteurs les plus divers, secondement à leur montrer comment on oppose et comment on rapproche les choses sans analogie naturelle contenues dans ces extraits disparates, afin de faire jaillir, du choc d’élémens hétérogènes, l’étincelle de l’esprit. « j’accoutumai mes élèves à saisir et à comprendre les ressemblances empruntées aux sciences les plus éloignées et à en découvrir par eux-mêmes. » En deux mots, l’antithèse et la comparaison composaient tout l’enseignement du jeune précepteur. Il faisait apprendre par cœur aux enfans des jeux de mots, des épigrammes, des anecdotes spirituelles, et tous les jours certaines heures réglées étaient consacrées méthodiquement à la production spontanée des traits d’esprit. Un cahier rouge, tenu par le maître, enregistrait avec honneur les meilleurs mots des élèves. « l’homme est un fruit à noyaux, dit un jour le petit Fritz, puisqu’à l’intérieur il a des os. » — « La marche est une chute perpétuelle, » remarqua le petit Emile. L’Anthologie des bons mots de mes élèves mentionne encore ceux-ci : « L’homme est attiré par les métaux comme l’électricité. » — « Le miroir est l’écho de la vue. » — « Quatre choses imitent l’homme : l’écho, l’ombre, le miroir et le singe, » Un autre prodige noté au cahier d’honneur avec admiration, c’est la masse de copie fournie par les apprentis écrivains : cent vingt pages en huit jours de la main de Léon, quatre-vingt-seize pages en six jours de celle de George, et le 12 mai, date mémorable, on voit Charles remettre à son professeur émerveillé cinq cent quarante pages d’analyses et d’extraits!

Les études personnelles de Jean-Paul pouvaient très bien marcher de front avec la pédagogie ainsi entendue ; le maître prêchait d’exemple en même temps que de doctrine. Il avait un recueil de Pensées, un recueil d’Ironies qui remplissait vingt cahiers en 1787, un recueil d’Inventions satiriques, qui en comptait quatorze, un recueil