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parfaitement indépendante des sentimens de foi et de piété qui le peuvent accompagner. Cette conception se fortifia d’autant plus que le ritualisme védique cessa davantage de se rattacher à un système religieux homogène. Elle s’étendit à d’autres notions. Comme dans le sacrifice, on chercha dans l’ascèse l’opération d’une force mystérieuse inhérente à l’austérité, indépendamment des sentimens qui l’inspirent. Qu’un ermite perdu dans la jungle se refuse toute nourriture, qu’il s’expose au soleil et au feu, debout sur un pied, les bras élevés, pendant un temps que la légende développe en longs siècles, les dieux tremblent sur leurs trônes, l’ordre universel est compromis; il faut que les maîtres du ciel avisent à quelque ruse qui interrompe ces exercices menaçans. A son tour, la contemplation, l’abstraction mystique fut considérée comme souveraine. Toutes ces thèses contradictoires et pourtant parallèles, également enveloppées dans le large manteau du système réputé orthodoxe. Une pareille orthodoxie était trop flottante pour s’irriter des nouveautés.

Tout inclinait ainsi à l’esprit de tolérance. Est-ce à dire qu’il fut sans réserve? que l’Inde n’ait jamais connu les luttes religieuses violentes? Non, certes. A défaut d’une orthodoxie stricte, les brahmanes entendaient assurer leur suprématie. Qui la reconnaissait était assuré pour ses vues spéculatives d’une large indépendance, qui la contestait était un adversaire. Cet empire de la caste brahmanique, le bouddhisme le lui disputait indirectement par cette organisation nouvelle qui opposait au principe de l’hérédité et de la caste le recrutement libre du clergé. L’histoire religieuse de l’Inde est pleine de rivalités de cette sorte. Mais l’âpreté du fanatisme était brisée d’avance. Notre moyen âge a vu des oppositions acharnées, séculaires, entre de puissans ordres religieux. Si ardentes que fussent les animosités, elles ne pouvaient pas aisément prendre le caractère des grands conflits qui ont accompagné la propagation du christianisme ou suivi la réforme. Ce sont luttes d’intérêt et d’école plus que de principes et de croyances. Elles ne peuvent que rarement armer le bras séculier. C’est un peu sous ce jour que se présentent dans l’Inde les luttes religieuses. Si la tolérance y trouvait dans l’état général des esprits un sol favorable, comment le bouddhisme, messager d’une doctrine de pitié et de paix, eût-il pu se déshonorer par un exclusivisme persécuteur?

Le langage d’Açoka n’en reste pas moins, par sa simplicité touchante, par sa précision et sa fermeté, bien admirable et bien curieux. Les bizarres détours de l’histoire! et par quels chemins étrangement divergens le langage d’un philosophe de notre XVIIIe siècle et le langage d’un roi indou vieux de deux mille ans arrivent à se rencontrer! La pensée d’un chrétien détaché par le