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porter à sa croyance les coups les plus sensibles. C’est pourquoi la concorde seule est bonne, de telle sorte que l’on sache entendre, que l’on aime à écouter les croyances les uns des autres. C’est, en effet, le vœu du roi que toutes les sectes soient instruites et professent des doctrines pures. Tous, quelle que soit leur foi, se doivent dire que le roi aimé des dieux attache moins d’importance à l’aumône et aux démonstrations extérieures qu’il ne tient à voir régner les enseignemens essentiels et le respect de toutes les religions. »

Un pareil langage n’est-il pas une surprise à pareille époque et en pareil lieu? Un langage d’allure si moderne que, avec bien peu de changemens, il paraîtrait naturel dans la bouche d’un homme du dernier siècle ou du nôtre? Il ne faudrait pas croire que de tels sentimens fussent dans l’Inde si imprévus. Les traces authentiques de persécution religieuse y sont rares. Les mêmes souverains s’y montrent tour à tour bienveillans pour des croyances diverses, à telles enseignes qu’il n’est pas toujours facile de décider celle que personnellement ils confessaient. Dans une même dynastie, les changemens de secte d’un roi à l’autre sont si fréquens qu’ils excluent toute idée d’opposition violente. L’esprit de tolérance a ici des racines profondes. Et je ne songe pas seulement à cette sorte de mansuétude quiétiste qui est naturelle à la race.

De sa nature, le polythéisme naturaliste des anciennes religions aryennes doit être accommodant. Il n’a guère d’enseignement orthodoxe, pas de dogme positif; il reste ouvert à l’afflux constant des superstitions nouvelles, des cultes locaux, dépourvu de cette unité d’impulsion, de cette fixité de doctrine qui est capable d’enflammer les âmes d’un zèle intempérant. En Grèce et à Rome, le culte national, fondement de la cité, garantie nécessaire de sa cohésion, a pu se tourner en violence contre les nouveautés intransigeantes qui, par le culte, semblaient menacer l’état. Jamais dans l’Inde la religion n’a joué un pareil rôle.

De ce côté, la situation est pacifique. Elle ne l’est guère moins du côté des brahmanes. Héritiers d’une tradition qui se réduit à un ritualisme sans sève propre, pénétrés par le flot montant de la religion vivante et populaire, ils portent en eux, nous l’avons vu, un dualisme plus ou moins avoué, mais qui, en tout cas, ne les prépare pas à un exclusivisme outré. La tendance même qu’ils éprouvaient à le réduire, à en opérer la synthèse, rendit la spéculation plus libre, libre, à vrai dire, sans limite, sauf un hommage très platonique à l’autorité suprême des textes traditionnels du Véda. Sur le terrain théorique, ils étaient préparés à bien des compromis.

De bonne heure, le sacrifice avait été présenté dans les hymnes sous le jour d’une puissance absolue, magique en quelque sorte,