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à mesure que se constitue dans la littérature le brahmanisme moderne, c’est-à-dire le vieil indouisme endigué par les brahmanes, régularisé par eux sous une forme qui, en lui superposant la tradition védique, sanctionne le privilège de leur caste. Ne serait-ce pas que le courant qui avait d’abord soutenu le bouddhisme se trouva par là enrayé d’abord, puis détourné? Ce support manquant, ce que le bouddhisme possédait de doctrines propres et d’organisation originale ne suffit plus à le soutenir.


IV.

À cette heure où, appuyé sur la faveur royale, il prend son grand essor, le bouddhisme exerce sur les âmes une action morale bienfaisante et profonde. S’il inspire le zèle, c’est en le tempérant de douceur, de miséricorde. Açoka, ce prince si religieux, si activement dévoué à la propagande religieuse, est avant tout un prince tolérant.

« Piyadasi, le roi aimé des dieux, souhaite que toutes les sectes vivent librement partout. Toutes se proposent l’asservissement des sens et la pureté de l’âme ; mais l’homme est mobile dans ses volontés, dans ses attachemens. Ils pourront pratiquer ou toute la loi ou seulement une partie de la loi. Mais au moins celui dont l’aumône n’est pas abondante possédera la domination sur les sens, la pureté de l’âme, la reconnaissance, la fidélité dans les affections, ce qui est toujours excellent. »

Ce n’est point là une inspiration fugitive; il y consacre un rescrit spécial que l’on peut véritablement appeler son édit de tolérance :

« Piyadasi, le roi aimé des dieux, honore toutes les croyances, qu’il s’agisse d’ascètes ou d’hommes-vivant dans le monde; il leur fait l’aumône et leur rend toute sorte d’honneurs. Mais le roi aimé des dieux attache moins de prix à l’aumône et au respect extérieur qu’il ne se préoccupe du progrès de leur enseignement fondamental. Sans doute, le progrès parallèle de toutes les croyances ne va pas sans bien des divergences. Mais pour toutes il a une source commune, la modération dans le langage; c’est-à-dire qu’il ne faut pas exalter sa croyance en décriant les autres, qu’il ne faut pas les déprécier sans juste motif, qu’il faut au contraire, en toute occasion, marquer de toute façon son respect pour les autres croyances. En agissant ainsi, on travaille pour sa croyance tout en servant les autres. En agissant autrement, on compromet sa propre croyance en desservant les autres : quiconque exalte sa croyance aux dépens des autres le fait par attachement à sa foi dans l’intention de la mettre en lumière; mais, agissant ainsi, il ne fait que