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jusqu’au bout, les états-généraux auraient nécessairement à choisir un autre régent qui serait sans doute un des principaux personnages publics de la Hollande. Ce serait peut-être une complication de plus ; la question ne resterait pas moins réglée pour la Hollande.

Elle est par le fait déjà résolue pour le Luxembourg. La mort du roi Guillaume III d’Orange doit marquer l’heure de la séparation définitive entre le grand-duché et le royaume néerlandais réunis par la politique sous une même couronne en 1815. La maladie du roi est le commencement de cette séparation : c’est le duc Adolphe de Nassau qui est appelé à exercer la régence provisoire dans le petit pays de Luxembourg où il doit régner comme prince souverain. Les droits du duc de Nassau résultent d’un pacte de famille déjà ancien entre les maisons d’Orange et de Nassau, — il date de 1783, — et confirmé depuis par le traité de 1867 qui reconnaît et garantit la neutralité du Luxembourg. Il n’y a aucun doute ni sur la position internationale du grand-duché, ni sur les droits du futur grand-duc, du régent d’aujourd’hui dont l’avènement s’accomplit dans les conditions les plus régulières. La Hollande voit vraisemblablement sans regret la fin de l’union, d’ailleurs toute dynastique, qui rattachait le grand-duché à l’ancien royaume des Pays-Bas. Les puissances de l’Europe ne peuvent rien avoir à objecter à une combinaison qui est leur œuvre, qu’elles ont sanctionnée d’avance à la conférence de Londres de 1867. Les représentans du Luxembourg se sont hâtés eux-mêmes d’aller au-devant de leur nouveau prince des que la régence a été déclarée. Tout a été préparé pour le recevoir, et à l’heure qu’il est, la prise de possession est un fait accompli : le régent est entré en fonctions en attendant le règne.

Par un jeu bizarre de la fortune, le duc de Nassau, qui a été comme d’autres violemment dépossédé par les armes prussiennes en 1866, retrouve aujourd’hui une souveraineté, et les journaux de Berlin ou de Cologne ne manquent pas de lui rappeler qu’il est un prince allemand, qu’il va régner dans un état allemand. Ils craignent sans doute que le nouveau souverain n’ait pas oublié qu’on lui a enlevé jadis sa jolie résidence de Wiesbaden. Le duc de Nassau a bien prouvé depuis longtemps qu’il n’avait pas de rancune, et il a fait tout ce qu’il fallait pour se réconcilier avec ceux qui l’ont dépouillé une première fois, il n’est plus à Wiesbaden, il sera maintenant à Luxembourg, il est plus heureux que l’héritier du roi de Hanovre, le duc de Cumberland, qui s’est montré moins résigné ou moins facile avec ses vainqueurs, et à qui la Prusse n’a pas permis d’exercer ses droits d’hérédité à Brunswick. Le duc de Nassau peut assurément, ne fût-ce que par prudence, ne point oublier qu’il est un prince allemand ; il peut être aussi intéressé à se souvenir qu’il va régner dans un petit état qui a ses traditions, qui peut se sentir flatté d’avoir désormais son prince, sa petite cour, mais qui tient en même temps à son indépendance, à la neutralité qu’on lui