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brahmaniques étaient peut-être plus contestées. Mais les deux courans existaient. Si la synthèse en était moins avancée, la situation n’en restait que plus ouverte au libre jeu des deux influences.

Entre les deux, on voit aisément de laquelle relève le bouddhisme. Il bat en brèche la suprématie exclusive de la caste brahmanique. Il fait plus : en atteignant le ritualisme, il mine sa puissance par la base. La tradition brahmanique ne cherche de salut que par la contemplation ou le sacrifice; c’est dans la pratique des vertus morales qu’il en place l’unique ressort. Or le trait, s’il n’est point brahmanique, est bien indou. En dehors de l’influence du bouddhisme, les œuvres où nous avons le plus de droit de chercher le reflet du sentiment populaire font à la morale, aux préceptes moraux, — souvent du caractère le plus élevé, — une très large place; la sentence morale est dans l’Inde une des formes caractéristiques de l’esprit littéraire. Le respect de la vie animale qu’il préconise avec tant d’insistance est demeuré et demeure dans l’Inde un trait saillant bien des siècles après que les enseignemens du Bouddha ont cessé d’y être écoutés.

La conclusion est claire.

S’il est vrai, et, à mon avis, la chose est certaine, qu’il ait de tout temps existé dans l’Inde, au-dessous du niveau brahmanique, une couche profonde d’idées, de croyances, de traditions, résultat d’un long développement spontané, résultat aussi du mélange des races, qui, au prix de bien des retouches, ont conquis finalement leur place dans le cadre officiel de la constitution religieuse, il est clair que c’est dans ce sol de l’indouisme populaire que le bouddhisme plonge ses racines, et cela dès une époque antérieure aux remaniemens et aux transactions qui en assurèrent finalement la direction aux brahmanes. Le bouddhisme se montre ainsi, comme une forme spéciale de l’indouisme ancien, plus fidèle aux origines en ce sens qu’elle est organisée en dehors des brahmanes et même contre les brahmanes. Quelque part d’originalité que puisse revendiquer le fondateur du bouddhisme, il avait besoin d’un point d’appui. Je le trouve dans cette poussée populaire, naturellement puissante par sa masse. Même détournée par lui dans une direction un peu particulière, elle devait imprimer à son œuvre cette vigueur d’expansion dont il faut bien rendre compte.

C’est peut-être dans les mêmes ressorts qu’il faut chercher l’explication d’un fait encore plus surprenant.. Singulière destinée que celle du bouddhisme dans l’Inde! Après une fortune rapide et brillante, au bout de quelques siècles, sans grandes secousses apparentes, lentement, sûrement, il s’alanguit, il se meurt, il disparaît sans retour de son pays d’origine! Comment? Pourquoi? Je suis frappé d’une coïncidence : la vie semble se retirer de lui au fur et