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effort spontané et énergique, aux élections prochaines, des confusions où l’imprévoyance des partis l’a jetée.

On ne peut sans doute rien augurer pour l’avenir, même pour un avenir prochain en Europe. Il y a tant d’élémens divers, tant de complications intimes, tant d’incompatibilités et de défiances avouées ou inavouées dans cette situation européenne telle que les événemens l’ont faite, que tout pourrait dépendre d’un incident si on le voulait. Pour le moment on ne le veut pas. Les apparences générales n’ont pas changé, elles ne cessent pas d’être à la paix, à la réserve, à la prudence dans les relations, il y a même des politesses officielles : M. le président de la république va en gala à l’ambassade d’Allemagne à Paris, tandis qu’à Berlin l’empereur Guillaume visite courtoisement l’ambassade de France. Tout est pour le mieux, et ce qui tendrait à prouver qu’on ne songe pas trop à raviver les questions brûlantes sur le continent, c’est qu’on en est encore aux entreprises lointaines, à ces affaires coloniales qui sont la tentation ou le piège des gouvernemens, qui ne laissent pas d’être traversées par bien des péripéties.

Qu’en sera-t-il de cette affaire de Samoa, de cette négociation qui doit s’ouvrir entre l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis ? Rien n’est encore décidé. Malheureusement, avant même qu’on se soit rencontré, un effroyable ouragan, un cyclone a préludé par une œuvre de destruction à l’œuvre de la diplomatie. L’Allemagne a perdu trois navires, avec une partie de leurs équipages, sur les côtes de Samoa. La marine américaine n’a pas été moins éprouvée. Une tempête ne prouve rien sans doute. Le cyclone de Samoa pourrait bien cependant avoir son influence à la conférence de Berlin et refroidir M. de Bismarck, qui est un homme pratique, qui n’a jamais eu d’ailleurs un goût très vif pour ces aventures lointaines, où il y a plus de périls que d’avantages. En revanche, l’Italie est peut-être sur le point de se laisser tenter encore une fois par le mirage des entreprises sur la Mer-Rouge. L’Italie a eu ses mécomptes à Massaouah. Elle a paru depuis quelque temps assez désillusionnée, surtout peu disposée à prodiguer ses soldats et son argent dans des expéditions lointaines, d’autant que l’état de ses finances ne laisse pas toute liberté à ses fantaisies. Une circonstance qu’on ne pouvait prévoir est venue lui rouvrir des perspectives peut-être plus favorables : c’est la mort du négus, du roi d’Abyssinie, qui aurait été tué dans un combat, laissant après lui un interrègne, une période de compétitions et de guerre civile. Aussitôt, les impatiences guerrières se sont réveillées à Rome ; la vision d’un empire colonial a passé encore une fois devant l’imagination italienne, et quoique M. Crispi, interrogé dans le sénat, ait gardé une certaine réserve de langage, le gouvernement du roi Humbert semblerait vouloir saisir l’occasion pour tenter de nouveau l’aventure. Ainsi, au même instant,