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religieuse du pays, y compris les brahmanes eux-mêmes, dans cette végétation touffue d’idées et de cultes, de pratiques et de légendes qui se rattachent aux noms de Çiva, de Vishnou, de Krishna, de Râma, à cent autres. Cette tradition a sa littérature : la poésie épique, et, sous une forme plus avancée, les pourânas. Le tableau est de la main des brahmanes. Ils y ont mis un certain ordre apparent, des vues d’ensemble, des spéculations mystiques, ils l’ont surtout comme pénétré d’un respect hyperbolique pour le Véda, — autant de traits étrangers à l’inspiration primitive. un les retouches ni l’esprit de système ne peuvent dissimuler ici un dualisme profond : védisme, indouisme, — l’état religieux est fait de ces deux courans ; ils demeurent nettement reconnaissables et séparés.

Est-ce là une situation nouvelle ?

On ne peut douter, à vrai dire, que l’état religieux dont la tradition védique représente les restes plus ou moins fossilisés, n’ait été, à un moment donné et dans un cercle plus ou moins étendu, l’expression directe, sincère, de la conscience religieuse. En tout cas, l’indouisme ne se peut expliquer comme un développement organique du védisme, tel qu’il nous est connu par la tradition brahmanique. On a admis cette dérivation ; on a cherché même à en suivre les étapes ; la tentative est vaine, les divergences sont trop essentielles dans les doctrines, dans le personnel divin, dans la matière légendaire. Qu’il y ait parenté, que les deux courans tendent à se rapprocher vers leurs sources lointaines, je n’y contredis pas ; l’idée d’une filiation directe est exclue. À coup sûr, — et c’est là ce qu’il nous importe de constater, — la division remonte très loin.

Si haut que notre regard pénètre dans l’âge vraiment historique de l’Inde, le védisme n’est déjà plus une religion vivante, obéissant à une évolution normale : la sève est arrêtée, l’évolution est enrayée. Ce n’est plus qu’une tradition littéraire doublée d’un rituel que les efforts de dépositaires intéressés tendent à combiner avec un état religieux en réalité fort différent.

Le bouddhisme suppose la croyance universelle, absolue, à la métempsycose ; sa légende indique un état du panthéon et de la légende populaires très analogue à celui de l’indouisme. En même temps, le Véda s’y montre environné déjà du plus puissant prestige ; l’organisation des castes est complète, les prétentions de la caste brahmanique partout évidentes. Aucun doute n’est possible. Dès l’époque de l’établissement du bouddhisme, la situation religieuse était essentiellement semblable à ce que révèle la littérature dix siècles plus tard. Elle pouvait être moins accusée, moins développée : l’élaboration scolastique du védisme n’était sans doute pas achevée encore, la légende indoue n’avait pas pris de tous points la forme dernière sous laquelle elle nous est. connue ; les ambitions