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dont le métier serait de l’opprimer. De la conquête de l’argent la noblesse est la récompense, et il faut-aussi qu’elle en soit le terme. Dès que vous êtes noble, n’acquérez plus, pour qu’il soit bien établi que vous n’avez acquis que pour être noble. Le but atteint, que le moyen soit méprisé, pour que l’acquisition de la richesse ne paraisse pas être, et ne soit pas le but suprême du travail d’une nation, ce qui en ferait une nation de misérables et de millionnaires, c’est-à-dire déséquilibrée, et une nation d’avides et d’avares, c’est-à-dire sans grandeur morale. — Et maintenant détruisez la noblesse, soit ; mais l’ascension du plébéien énergique vers la richesse continuera, et n’aura ni but noble, ni tenue ; elle n’aura de but que la richesse elle-même et constituera une aristocratie qui ne sera pas une noblesse ; elle n’aura de terme d’aucune sorte, et constituera un patriciat d’argent, dur et oppresseur, contre lequel les haines seront bien plus âpres qu’elles étaient contre l’autre, et contre lequel se fera un jour une révolution qui ne sera pas la révolte de la vanité, mais la révolte de l’avidité et de la faim.

Et, pour finir, dans cette ancienne constitution française Bonald voit la consultation nationale, les états-généraux, qu’il n’aime guère, mais dans lesquels il aperçoit la ressource suprême dans les grands périls, l’Etat rassemblant toutes ses forces, forces en plein développement, forces en formation, pour se rendre compte de ses puissances déclarées ou latentes, et démêler de quel avenir il peut être gros.

Tout cela est bien vu et juste encore cette considération, sur laquelle Bonald est revenu souvent dans ses comparaisons de l’ancienne France à la nouvelle, qu’il faut toujours une « certaine quantité de monarchie » dans un état et que cette quantité, jusqu’à ce que la décadence définitive commence, ne change point, et seulement se déplace. Ainsi dans l’ancienne France, c’était la constitution qui était monarchique, et c’était l’administration locale qui était populaire. Les assemblées municipales et les assemblées provinciales (dont les attributions, du reste, étaient trop différentes d’une région à l’autre) étaient de véritables assemblées d’administration, et leur existence et leur fonctionnement étaient une puissante garantie d’indépendance et d’autonomie locales. L’organisation démocratique générale a rendu nécessaire un redoublement de monarchie dans l’administration. Que toute la France fasse la loi, il est possible, encore qu’il y ait là quelque illusion ; mais toute la France est serrée, d’autre part, dans le réseau rigide d’une administration uniforme dont le chef est au centre. La France change les ministres ; mais elle subit les fonctionnaires, sorte d’armée qui semble une armée étrangère, tant