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appuyée de deux ou trois analogies un peu forcées ? Est-ce suffisant ?

C’est suffisant pour lui, parce qu’il est orgueilleux comme un croyant, et, en même temps, tranchant comme un raisonneur du XVIIIe siècle. Ces « sophistes » du XVIIIe siècle, comme il les appelle, ont été des hommes de foi, à leur manière, autant qu’il est possible de l’être. Ils ont cru à la logique, à la réalité objective d’une construction dialectique, autant qu’un scolastique du moyen âge a pu croire à la « parole » et au dixit du Maître. Pour eux, une idée qui fait système est une idée vraie. Elle n’est pas probable, elle n’est pas utile, elle n’est pas une hypothèse favorable à la classification des idées et mettant un peu de clarté dans le cerveau, comme une bonne table des matières ; elle n’est pas, pour se placer à un autre point de vue, spécieuse, agréable, élégante, attrayante, d’un joli dessin, d’une belle hardiesse ou d’une heureuse harmonie de lignes ; elle est vraie ; elle est la vérité, et la pratique des hommes s’y doit soumettre. Ainsi Rousseau (sauf de nombreuses contradictions qui lui font honneur) a pensé ; ainsi Condorcet, ainsi Volney, ainsi beaucoup d’autres, dont est Bonald, dans un autre camp, avec la même méthode. Cette scolastique philosophique, il en est plein. Ce jeu des abstractions, ce déroulement des syllogismes et cette éclosion précise des formules est une volupté de son esprit où il a le tort d’engager sa conviction et de vouloir soumettre la nôtre. Nous ne lui refusons pas notre admiration, et même il faudrait peu de chose pour que nous prissions au jeu, en ne le tenant que pour un jeu, autant de plaisir qu’il en prend lui-même. Il n’y faudrait qu’un peu plus d’aisance, et plus d’air libre circulant dans ces pages un peu compactes. Mais toute adhésion se dérobe à des raisonnemens qui ont une base commune si étroite qu’elle semble ne pas exister, et qui, faute d’un fondement solide, ou tout au moins large, paraissent ne se soutenir que les uns par les autres, et réciproquement se demander et se rendre la force apparente que le second ne tient que du premier et le premier que du second.


II

C’est avec cette intempérance de dialectique et cette intrépide confiance aux principes qu’on a une fois cru découvrir, qu’on arrive très vite aux égaremens du « sens propre » et au respect superstitieux de son « opinion particulière. » Qu’il y ait dans Bonald l’étoffe d’un hérétique, puisqu’il y a en lui l’esprit d’un raisonneur du XVIIIe siècle, cela, éclate aux yeux, et souvent inquiète. Sa haine pour ceux-là même, dont il a, sans le savoir, la tradiction intellectuelle, l’a sauvé. Il a l’esprit systématique ; mais il ne l’aime que