Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abhorré. » Quand il devint évident que le poids des impôts non-seulement ne serait pas allégé, mais s’aggraverait par la misère des temps, le mécontentement fut général parmi les patriotes les plus décidés, comme parmi ceux qui se détachaient déjà de la révolution. Il s’accrut encore par les nouveaux vices qui remplacèrent les anciens ou s’y ajoutèrent dans la répartition et le recouvrement, par les effets surtout de l’inexpérience des nouveaux pouvoirs électifs chargés de la confection des rôles. L’anarchie dominait du haut en bas, parmi les administrateurs, sur le point qui demandait le plus de régularité et de fixité : elle ne pouvait que dominer aussi parmi les administrés et se traduire en désordres de toute sorte. Ailleurs, « l’anarchie spontanée » s’attaquait aux châteaux et aux propriétés privées : ici, elle s’attaqua surtout aux pouvoirs publics, aux représentans officiels de l’ancien régime d’abord, puis du nouveau, et, contre ces derniers, elle devint insensiblement, chez le plus grand nombre, la révolte contre la révolution elle-même.

Une seconde cause, infiniment plus grave, de mécontentement, fut la constitution civile du clergé. Tout le monde est d’accord aujourd’hui pour condamner cette œuvre bâtarde, qui prétendait maintenir une religion d’état en violentant la conscience de ses ministres. L’aveuglement y est tel qu’elle faisait appel à l’élection pour le recrutement du clergé, sans prévoir les résistances qu’elle devait inévitablement rencontrer, parmi les électeurs comme parmi les éligibles. Ces résistances se produisirent partout dans la future Vendée. Les populations rurales étaient très attachées à leurs curés. Le bas clergé était pour elles toute l’église ; car elles ne connaissaient pas les évêques, qui résidaient au loin, à Luçon, à La Rochelle, à Poitiers. Elles étaient indifférentes, parfois hostiles aux congrégations régulières, et elles prirent sans scrupule part à leur spoliation. Elles goûtaient plus volontiers les missionnaires, qui étaient aussi du bas-clergé, et, pour la plupart, enfans du pays. Elles aimaient les cérémonies religieuses, non-seulement le culte ordinaire, mais les fêtes exceptionnelles, où se rassemblaient plusieurs paroisses : les plantations de croix, les pèlerinages. Enfin, l’attachement pour le bas clergé se doublait des sentimens de famille, car la plupart des familles se faisaient et se font encore un honneur de donner un de leurs membres à l’église. L’élection du clergé n’eût rencontré, parmi ces populations, aucune difficulté si elle eût été libre ; mais on ne pouvait élire que des prêtres assermentés, c’est-à-dire des prêtres infidèles, des prêtres condamnés par toutes les voix qu’on était accoutumé à suivre avec une confiance absolue. Se fût-on prêté à l’élection, les candidats manquaient par l’universalité du refus de serment. Dans la plupart des