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II

Nous nous sommes étendu sur ce règne de Charette dans la Basse-Vendée, parce que son action personnelle a été pour beaucoup dans l’unité historique et morale de la région. Elle était préparée par son passé au groupement de ses diverses parties ; mais ce groupement ne s’est fait que par la main habile et ferme d’un chef unique.

La Haute-Vendée n’offre pas cette unité de commandement. Les chefs y ont été multiples du début aux derniers jours. Lorsque Stofflet est resté seul, après la disparition tragique de tous les autres, il n’a pu que retarder de quelques mois la défaite définitive. Ici, l’unité s’est faite non par une action unique, mais par l’accord, constamment maintenu, entre des actions diverses. Les conflits n’ont éclaté qu’à la fin, quand les passions se sont aigries par une série de revers. Et encore, si Stofflet a fait fusiller Marigny, ce n’a été qu’à l’instigation et sur un rapport de Charette. Mais, dans les premiers temps, quelle admirable entente, quelle émulation dans le désintéressement entre ces généraux improvisés, Bonchamp, d’Elbée, Cathelineau, La Rochejaquelein, Stofflet lui-même ! Chacun d’eux a été pris pour chef dans un soulèvement particulier et ne représente au début que l’anarchie dans l’insurrection. Leur union transforme ces tentatives incohérentes en une véritable guerre, et cette guerre trouve une base assurée dans l’appui, à la fois matériel et moral, de toute une région, qui devient aussitôt, pour elle-même et pour le reste de la France, une province constituée. Ce n’est pas, comme la Vendée de Charette, un royaume ; c’est, chez ces royalistes, une république. Non-seulement l’autorité militaire, mais l’autorité civile, est multiple. La première, pour les affaires de tout ordre, est sous la direction d’un conseil supérieur. Dans le conseil, comme dans le commandement de l’armée, chacune des divisions de la province a des représentans. Chacun se sent conduit par quelqu’un des siens et se laisse ainsi plus facilement entraîner à une action commune.

La légende, dans les soulèvemens qui ont suscité la formation de la Haute-Vendée, fait une part prépondérante à un seul chef, le plus obscur par la naissance, le plus grand par le cœur : Cathelineau, le voiturier du Pin-en-Mauges. Se faisant spontanément l’interprète du mécontentement général contre la persécution religieuse, les nouveaux impôts, le recrutement militaire, il aurait provoqué un premier soulèvement parmi ses compatriotes et donné le branle, dans tout le pays, à tous les autres actes d’insurrection. Aussi aurait-il été, dès le principe, accepté comme général en chef par