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vagues. Beaucoup le confondent avec celui de Bretagne. On ne distingue pas très bien la Vendée département de la Vendée province ; mais la confusion se fait presque toujours au détriment du département. J’ai vu des hommes très lettrés se figurer que la Vendée était une ancienne province de la France, au même titre que la Normandie ou la Bourgogne. Je les étonnais en leur rappelant que ce nom, comme nom de pays, ne date que de la révolution et de la division de la France en départemens.

Le nom reste vague et il prête à l’équivoque ; mais la province existe et elle a son individualité propre, quoiqu’elle n’ait jamais été constituée ou reconnue par aucune autorité, soit de droit, soit de fait. Elle existe dans les mêmes conditions que nos plus anciennes provinces, qu’il ne faut pas confondre avec les gouvernemens entre lesquels se partageait officiellement la France d’autrefois. Ces gouvernemens reposent, en effet, sur des divisions beaucoup plus anciennes, qui, pour la plupart, sont celles mêmes de la Gaule avant la conquête romaine. Les noms de ces civitates et de ces pagi, comme les appelle César, se sont perpétués, à peine transformés, à travers toute notre histoire. Ils se retrouvent dans presque tous les noms de provinces ou de pays qui sont toujours en usage, en dépit des divisions et des dénominations officielles. Ils se sont dégagés de tout ce qu’il y a eu d’artificiel dans les délimitations officielles auxquelles ils ont pu être associés dans la Gaule romaine, dans la France féodale, sous la monarchie absolue et dans la France actuelle. Ils expriment des groupes naturels de territoires et de populations qui se sont maintenus par la seule force, soit d’une certaine constitution physique, soit de la communauté des traditions et des mœurs. La Vendée est venue s’ajouter de nos jours à ces groupes naturels, avec ce même caractère d’une existence propre et manifeste, sans consécration officielle. Elle n’en diffère que par son origine récente ; mais cette différence même, en permettant de mieux connaître les conditions dans lesquelles elle s’est formée, peut jeter quelque jour sur la formation des provinces vingt fois séculaires parmi lesquelles elle a pris place. Cette génération spontanée d’une province française, il y a moins de cent ans, offre donc un sujet d’étude singulièrement intéressant pour l’histoire philosophique.

Ce sujet d’étude, à notre connaissance, est encore intact. Les histoires générales de la révolution et les histoires particulières de l’insurrection vendéenne se bornent à tracer, sous le nom de Vendée, une carte du pays insurgé. Cette carte a, de trois côtés, des limites naturelles : au nord, la Loire ; à l’ouest, l’Océan ; au sud, la Sèvre niortaise. A l’est, la limite est tout arbitraire : elle est formée par une ligne assez indécise, traversant du nord au sud le