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III

Nous n’entreprendrons pas ici l’étude des peintres allemands du XVIe siècle. Les deux principaux, Dürer et Holbein le Jeune, sont aussi universellement connus que sont ignorés leurs prédécesseurs. Contentons-nous donc d’indiquer les traits essentiels de la peinture allemande de cette époque, et d’énumérer les maîtres de second ordre les plus importans.

Deux grands faits dominent l’art de la Renaissance, en Allemagne. Tous deux ont eu sur lui une influence très heureuse au début, et tous deux ont vite contribué à lui enlever toute originalité. Ces deux faits sont la connaissance de l’art italien et la conversion de l’Allemagne au protestantisme.

Les peintres du XVe siècle n’ont pas connu l’Italie. L’art flamand qu’ils imitaient était trop différent de l’art où les contraignait leur nature pour être très dangereux : ils croyaient le reproduire, et ils faisaient autre chose. L’art italien, au contraire, ne pouvait manquer de les mettre en désarroi. Celui-là était, lui aussi, par certains points, un art d’émotion et de sentiment ; et comme il devait leur paraître supérieur à leur lourde et gauche peinture, cet ail qui savait revêtir les émotions d’un triomphant appareil de beauté formelle ! L’exemple de Dürer, de Burgmair, nous montre combien fut vive l’impression qu’ils en reçurent. Tous bientôt résolurent de rivaliser avec ces Italiens merveilleux, d’atteindre comme eux à cette beauté de la forme, que leurs compatriotes leur semblaient n’avoir pas entrevue. De là un mouvement superbe, un effort pour créer une beauté tout allemande, pure comme celle des Florentins ou de Mantegna, colorée comme celle des Vénitiens, ingénue et cordiale comme celle de leurs prédécesseurs nationaux. Effort vigoureux et touchant, mais qui ne pouvait réussir. Les peintres allemands se voyaient de plus en plus dépassés par les Italiens ; ils s’empêtraient dans des tonnes indécises, s’épuisaient à vouloir égaler leurs nouveaux maîtres dans cette poursuite d’une beauté plastique. Et ils reconnaissaient bientôt que cette poursuite ne leur était pas naturelle : où auraient-ils pris l’originale et féconde vision qui embellissait toutes choses à l’œil d’un peintre de Florence ou de Venise ? Alors, plutôt que de revenir à l’art purement expressif de leurs devanciers, ils se résignaient à imiter, à copier les formes italiennes : se consolant par une théorie esthétique qu’ils devaient léguer à leurs successeurs, et qui érigeait en canon immuable et universel le type particulier de beauté qu’ils pastichaient sans scrupule.