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technique, l’emploi de l’huile laisse en partie subsister les traditions de la détrempe : on ébauche à la colle, on ne se sert de l’huile que pour les dernières retouches. Les peintres allemands ont aussi conservé l’habitude de dessiner les lignes avec leur pinceau d’une façon très accentuée, de sorte que les traits sont restés sous les couleurs comme des entailles noires et sèches. Chose singulière, il arrive souvent de trouver dans les tableaux allemands une lumière plus vraie, mieux répartie que dans les tableaux flamands. Mais au point de vue de la perfection des détails, de l’observation anatomique, de la science du paysage et de la perspective, l’infériorité des Allemands est incontestable : leur persistance à garder les fonds d’or peut encore être considérée comme une marque d’infériorité.

Si des procédés nous passons à la conception, nous trouvons les mêmes différences. Les Allemands cherchent, mais ne parviennent pas, à être des réalistes. Ils s’attachent, malgré eux, à imprégner d’émotion les scènes qu’ils représentent. Les uns contournent les membres de leurs personnages en mouvemens exagérés ; d’autres sacrifient tout à l’expression du visage. Tous, ou à peu près, sont gauches, embarrassés ; mais presque tous nous offrent un art plein de fantaisie, et un art vraiment primitif, où débordent la bonne foi et la naïveté.

Contentons-nous d’indiquer en peu de mots les principaux de ces maîtres. Chacun d’eux se distingue des autres par la façon différente dont il accommode à sa nature d’Allemand la manière flamande.

Et d’abord, citons avec respect le maître anonyme des Scènes de la vie de la Vierge, au musée de Munich, maître que l’on avait longtemps confondu avec l’auteur de la Passion de Lyversberg, au musée de Cologne. Le peintre de la vie de Marie est sans doute originaire de Cologne : il a subi l’influence flamande, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un maître allemand antérieur dont nous avons vu quelques tableaux à Cologne à Bruxelles et au musée de Schleissheim. Les Scènes de Munich rappellent d’une façon évidente la manière flamande, moins celle de Rogier que celle du Hollandais Bouts, le plus coloriste et le plus sentimental des maîtres des Pays-Bas. C’est le même réalisme, la même finesse de détails, le même modèle un peu sec et les mêmes couleurs chatoyantes. Mais comme on reconnaît tout de suite les caractères distinctifs de l’Allemand de Cologne ! Jamais un peintre des Flandres n’aurait eu le sens de cette composition toute symphonique, de cette appropriation du paysage et des architectures au sujet de la scène. Jamais il n’aurait su animer ses figures jusqu’à leur donner cette vie idéale, jusqu’à les revêtir d’une indéfinissable beauté plastique. Avec leurs