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exécution, les peintures de Fra Angelico, et davantage encore les chefs-d’œuvre de la première école de Sienne, qui fut aussi, comme l’on sait, une école de peinture sentimentale. La ressemblance est même souvent si forte que l’on est embarrassé pour l’attribution de certains dessins où l’irréalité des traits, l’expressive beauté des lignes, font songer aussi bien à un maître de Sienne qu’à un maître de Cologne. Mais, en général, un caractère très important distingue les peintures de Cologne de toutes les peintures italiennes. Les maîtres italiens sont toujours, en dépit de leur naïveté, graves et un peu tristes. Ils donnent volontiers à leurs figures des expressions douloureuses : les visages qu’ils nous montrent sont pâles et amaigris, et toujours par l’effet d’une souffrance profonde qui prête à leur sourire même quelque chose d’amer. Rien de pareil chez les peintres de Cologne. Ceux-là n’ont vraiment vu dans la religion qu’un adorable jardin de formes gracieuses et tranquilles. La pâleur de leurs vierges ne résulte point de cruelles angoisses ; de même que l’étrange maigreur de leurs corps, elle n’est que la marque d’êtres presque immatériels, étrangers à notre réalité terrestre. Leur sourire n’a rien d’amer : il apparaît comme l’attitude naturelle de leurs doux visages. Nous voyons bien qu’il serait impossible à leurs lèvres de ne pas sourire, comme à leurs membres fluets et délicats de faire un mouvement. Ces vierges, nous les sentons des personnages de rêve, à jamais calmes et gais, tout ensemble bons comme des mères et jolis comme des fées. Même expression de douce gaîté dans les traits de l’Enfant ; les vieillards ont un sourire d’une sérénité divine. Et lorsque le peintre, — ce qui lui arrive rarement, — essaie de peindre une scène douloureuse, il ne peut s’empêcher de donner encore au Christ, à la vierge, aux saints, une sérénité recueillie : il anime d’expressions tendres les visages mêmes des bourreaux.

Les voici sur leurs fonds d’or, digne atmosphère à ces figures irréelles, voici ces merveilleux héros d’une religion souriante. Les voici tels que nous les avons vus déjà aux fresques de Ramersdorf, avec leurs formes élancées, leurs membres à jamais immobiles, leurs mains longues et menues. Leurs amples vêtemens tombent, à grands plis, laissant deviner le corps mince et débile. Tout cela est gauche, impossible ; mais de l’ensemble de ces lignes s’exhale l’incomparable parfum d’une poésie pieuse.

Pas un détail qui n’ajoute à cette impression. Les visages sont d’un ovale allongé, avec des fronts d’une hauteur anormale, un nez fluet et gracieux, une bouche très fine, des yeux enfoncés et presque toujours à demi fermés. Pas plus que les mystiques du temps, perdues, comme eux, dans leur rêve divin, les vierges de