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quelques heures. En 1884, sur près de mille femmes entrées à la Maternité, nous n’avons eu qu’un seul décès. »

En dehors des hôpitaux, les résultats sont les mêmes. Les épidémies qu’on voyait autrefois s’abattre avec tant de violence sur les femmes récemment accouchées, ont disparu complètement des localités où l’on observe les règles indiquées plus haut. Les femmes enceintes n’ont plus besoin de fuir les grandes villes pour subir leur épreuve ; elles y courent même moins de danger que dans les petites, parce que les règles de l’antisepsie y sont mieux connues et mieux observées. En somme, grâce aux progrès scientifiques contemporains, les femmes, échappant à la condamnation qui pesait sur elles depuis le commencement du monde, peuvent maintenant devenir mères sans souffrances et sans danger.

La solution du problème une fois trouvée, les médecins se sont beaucoup relâchés de leurs exigences en ce qui concerne la construction des hôpitaux, et de grandes dépenses seront ainsi épargnées aux villes qui désireront en construire. Il est même des chirurgiens qui professent une indifférence complète pour la salubrité du milieu dans lequel ils opèrent, et qui acceptent le premier local venu pour y loger leurs blessés. C’est aller un peu loin.

L’antisepsie chirurgicale est destinée à transformer la pratique des champs de bataille. Elle y sera d’une application plus difficile que dans le calme des hôpitaux ; ses résultats ne seront probablement pas aussi brillans ; mais ils atténueront toujours, dans une proportion considérable, l’effrayante mortalité qui a pesé jusqu’ici sur les victimes de la guerre. Fasse le ciel que nous n’ayons jamais à constater ce dernier bienfait de la méthode !

Je tiens à rappeler, en terminant, que le progrès dont je viens de tracer très rapidement l’histoire est la conséquence de la découverte des anesthésiques et du perfectionnement des moyens à l’aide desquels on annule la douleur. Pour atteindre le degré de sécurité et de hardiesse auquel elle est parvenue, la chirurgie contemporaine doit agir avec une lenteur, un soin et un ensemble de précautions qui ne sont possibles qu’à la faveur d’une immobilité absolue et d’une insensibilité prolongée. Autrefois, il fallait agir vite pour abréger le supplice, et les opérations ne duraient que quelques minutes. Il en est aujourd’hui qui demandent plusieurs heures pour se terminer et, pendant tout ce temps, le malade, plongé dans le sommeil anesthésique, demeure absolument étranger à ce qui se passe. En ne comptant que les femmes rendues à leurs familles par une de ces opérations terribles que nous regardions, il y a trente ans, comme des tentatives criminelles, on arriverait à des centaines de mille.


JULES ROCHARD.