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méthode antiseptique[1], qui a rendu son nom célèbre dans le monde entier.

Cette méthode ne fut pas accueillie, même en Angleterre, avec l’enthousiasme qu’elle a excité plus tard. En France, on s’y montra d’abord indifférent. D’une part, elle n’avait rien de nouveau, puisque l’acide phénique et le phénol étaient employés depuis longtemps ; de l’autre, les précautions méticuleuses, les petits détails d’exécution dont elle se composait, semblaient un peu puérils aux chirurgiens de notre pays. Les esprits sceptiques trouvèrent la confiance de Lister naïve et son procédé presque enfantin ; mais le chirurgien de Glascow avait, comme M. A. Guérin, la foi scientifique avec laquelle on fait les grandes choses ; il persista, il perfectionna son procédé, et bientôt le succès le plus éclatant vint récompenser sa confiance. Nos compatriotes s’empressèrent alors de convenir de leur erreur. Ils reconnurent que ce sont précisément ces soins minutieux, cette propreté rigoureuse, qui constituent l’essence de la méthode et qui assurent la perfection du résultat.

Depuis cette époque, elle a fait le tour de l’Europe et s’est implantée aux États-Unis. L’Allemagne et le Danemark l’ont accueillie avec enthousiasme, et en France, il y a longtemps qu’on ne la discute plus. Dans ses pérégrinations, elle a subi des modifications de détail. On a quelque peu délaissé l’acide phénique pour d’autres substances reconnues plus actives ; mais, au fond, c’est toujours la méthode de Lister, et l’antisepsie chirurgicale est bien son œuvre. Partout où elle a été appliquée, avec la rigueur nécessaire, elle a donné les mêmes résultats : mais cette rigueur est la condition indispensable du succès. Loin de se relâcher des précautions recommandées par son auteur, on n’a fait que renchérir sur leur sévérité. On y a été conduit par les progrès mêmes de la science.

Lorsque Lister créa sa méthode, ou ne faisait que soupçonner l’existence des petits organismes auxquels sont dus les accidens formidables qu’on désignait, dans leur ensemble, sous le nom de fièvre des hôpitaux. Le microbe pyogène n’a été découvert que dix ans plus tard. Depuis on a en trouvé d’autres qui ne sont pas moins dangereux, et, de plus, on a reconnu l’extrême subtilité de ces micro-organismes et leur résistance surprenante aux causes de destruction. Elles sont telles qu’il ne suffit pas, pour rendre aseptiques les mains de ceux qui touchent les blessés, de les laver à l’eau chaude et au savon, de les tremper ensuite dans la solution phéniquée ; il ne suffit pas de nettoyer ses ongles à la brosse, poulies débarrasser de tous les germes qu’ils abritent. La poussière

  1. Antiseptique, de ἀντι (anti), contre, et σῆψις (sêpsis), putréfaction.