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dans lesquelles se serait tenu, cent ans avant notre Acoka, un second concile ; la discussion y aurait porté sur de si minces objets, qu’elle supposerait tous les points essentiels, toute l’organisation, assis dès longtemps. Par malheur, trop de contradictions, d’impossibilités ou d’invraisemblances déparent ces traditions et ruinent leur autorité. Le langage d’Açoka est, lui, un document direct, irrécusable. Quel prix n’a-t-il pas, intervenant à une époque d’autant plus intéressante que, voisine encore des origines, elle est à la fois plus caractéristique et plus malaisée à reconstituer sur les ressources de la tradition littéraire ! Ce témoignage n’est pas aussi explicite que le souhaiterait notre curiosité ; où nous voudrions un exposé complet, nous ne trouvons que des allusions rapides ; les questions se pressent,-nombreuses, complexes, dans notre esprit; les réponses sont, dans les textes, rares et indirectes. Mais ici tout indice est précieux; et n’est-ce pas la tâche de la critique d’entendre à demi-mot, de compléter avec tact les demi-confidences des documens trop discrets?

Açoka a pris soin de nous apprendre la date et les causes de sa conversion. Cette confession vaut d’être citée :

« Dans la neuvième année après son sacre, le roi Piyadasi aimé des dieux fit la conquête des immenses territoires du Kalinga (Orissa). Des centaines de milliers de créatures furent alors enlevées, cent mille tombèrent sous les coups ; il y eut bien d’autres morts encore. C’est alors, après la conquête du Kalinga, que le roi aimé des dieux se tourna avec ardeur vers la religion, qu’il conçut le zèle de la religion et s’appliqua à la répandre, si grand fut le remords qu’il éprouva des violences commises dans la conquête du Kalinga. Les meurtres, les morts, les enlèvemens qui accompagnent la conquête, j’ai ressenti de toutes ces misères une vive peine. Voici ce que j’ai ressenti plus douloureusement encore: partout résident des brahmanes, des çramanas ou d’autres sectes d’ascètes ou de gens vivant dans le monde……………….

Ces hommes, dans la conquête, sont exposés à la violence, à la mort, à la séparation d’avec ceux qui leur sont chers. Quant à ceux mêmes qui n’éprouvent aucun dommage, leurs amis, leurs parens trouvent la ruine; de la sorte, eux aussi sont atteints. Toutes ces violences, le roi aimé des dieux les a douloureusement ressenties... En effet, le roi aimé des dieux souhaite de voir régner la sécurité pour toutes les créatures, le respect de la vde, la paix, la douceur. C’est là ce qu’il appelle les conquêtes de la religion; ce sont ces conquêtes de la religion qu’il aime à poursuivre, et dans son empire et au dehors sur de vastes étendues. »

Cette conversion change ses habitudes et sa vie; il nous l’explique par une comparaison avec ses prédécesseurs :