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primordial pour toute nation qui ne veut pas se suicider ou déchoir. En fait d’études et d’expériences politiques, presque tout aujourd’hui a été approfondi ; ou tenté. De tant d’essais et de recherches résulte une seule certitude : tout gouvernement qui ne reste pas ou ne rentre pas dans les voies nettement conservatrices se perd, et perd le pays avec lui. Si un régime de forme quelconque est incapable de fournir une droite gouvernementale forte et stable, il faut qu’il change ou soit changé.

La grande question est donc de savoir si la démocratie peut oui ou non produire et faire vivre des majorités, des administrations et des gouvernemens de droite libérale. La république des États-Unis dit oui, et prouve son dire par ses succès depuis cent ans. Elle a ainsi accrédite la démocratie dans le Nouveau-Monde. Nos républiques latines disent non, et ne le prouvent que trop par leurs fautes. La France témoigne sa volonté d’aller à droite ; les partis républicains la poussent à gauche, en plein péril. La preuve se trouve donc largement faite, et la conclusion semble facile à tirer. Que chacun soit conservateur suivant la mode de son pays. Ce n’est pourtant pas la faute des royalistes si les républicains leur ont laissé le monopole des procèdes et des principes conservateurs, et si le conservatisme indispensable et vital n’a jamais pu prendre et garder chez nous d’autre forme que la forme monarchique.

A trois reprises différentes, nos républicains ont eu beau jeu de montrer leurs aptitudes conservatrices. Qui donc les empêchait, comme leurs plus clairvoyans amis le conseillaient, d’emprunter les bonnes traditions des précédons régimes et d’en appliquer les saines doctrines administratives, diplomatiques et financières ? Au lieu de tout compromettre, pourquoi n’ont-ils pas rendu le pays plus prospère qu’ils ne l’avaient trouvé, selon l’exemple des monarchies antérieures ? Ce critérium pratique de la valeur des gouvernemens ne saurait être récusé, même par les adeptes du positivisme. La troisième république était maîtresse absolue ; on lui avait mis tous les atouts dans la main. Qu’en a-t-elle fait ?

Quant aux institutions américaines, il leur reste une épreuve décisive à subir. Elles sont arrivées à un tournant dangereux où le socialisme les guette « A l’heure où une crise commerciale jettera sur le pavé de nombreux ouvriers sans ouvrage, quand il ne restera plus de terres publiques à distribuer, et que la population des villes se sera encore accrue, si de mauvaises récoltes font hausser le prix du pain, si des coalitions et des grèves suspendent le travail et qu’aux masses mécontentes et affamées se présente la tentation de détruire les richesses accumulées et sans défense, alors se fera la véritable épreuve de la valeur de nos