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Rome y pèsent d’un grand poids. L’Amérique s’apprête-t-elle à devenir le plus ferme appui du Vatican et le principal foyer moderne du catholicisme émigré, trouvant un sûr refuge dans les libertés des États-Unis ?

Malgré ces progrès et ces pronostics, le catholicisme et le protestantisme vivent côte à côte sur le pied de paix. La rivalité entre les deux religions ne se manifeste guère que par une émulation généreuse de dons et de souscriptions pour les œuvres de bienfaisance. L’humble denier de Saint-Pierre ne veut pas se laisser dépasser par le gros dollar protestant.

Lors des fêtes du centenaire, à San-Francisco, le 8 octobre 1870, la messe pontificale fut célébrée en présence du gouverneur de l’état par l’archevêque. Puis un pasteur prononça ce discours, souvent rappelé : « En ma qualité de protestant, je ne suis pas venu ici plus que mes coreligionnaires pour chanter les louanges de l’église catholique romaine, mais je veux lui rendre l’honneur qui lui est dû. Car la fondation primitive de la Californie n’a pas été une entreprise politique ; ce fut une œuvre religieuse, l’œuvre du catholicisme. » Et l’orateur terminait ainsi : « Comme protestant, je n’hésite pas à déclarer que je me réjouis de la force et de la prospérité de l’église catholique. Si je prédis que dans cent ans elle sera plus puissante qu’elle ne l’a jamais été, c’est que mon cœur accompagne cette prédiction. Quand je considère qu’elle est la mère de toute la civilisation moderne et la nourricière de toutes les institutions politiques libres, je prie humblement le Dieu tout-puissant que ce grand pays d’hommes libres apporte dans son sein la plus riche et la plus abondante moisson[1]. »

Actuellement, en Amérique, le catholicisme est une des plus précieuses sauvegardes de l’ordre social contre les chances de naufrage et les menaces du fanatisme révolutionnaire. Le clergé catholique et son épiscopat libéral autant que dévoué luttent pour la bonne cause et font tous leurs efforts pour imprimer un caractère pacifique et chrétien au mouvement socialiste, dont ils connaissent la violence et les dangers. Puissent-ils ne pas être entraînés eux-mêmes ! De leur côté est le sauvetage. De l’autre, on n’entrevoit que le radeau de la Méduse.


IV

Même dans leurs écarts, les Américains ont gardé le sens dm conservatisme. S’ils se sont laissés glisser plus ou moins vite sur

  1. Extrait du Mercure de Westphalie.