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aux obligations de ce genre. Décidés à éviter le scandale, et à tirer tout le parti possible de leur propre indépendance religieuse et morale aux dépens d’autrui, ces bons apôtres craignent de gâter le métier en multipliant leurs semblables, et de perdre le marché par une propagande antireligieuse qui susciterait la concurrence. À leur avis, le meilleur moyen d’empêcher les loups de se manger entre eux, c’est qu’il y en ait peu, au milieu de beaucoup d’agneaux. Ils sont aises d’entendre prêcher par les ministres de n’importe quel culte l’observance des dix commandemens, et se réservent de ne pratiquer que le onzième, réputé, en terre anglo-saxonne, pour remplacer à l’occasion tous les autres : Fais ce que voudras, mais ne te laisse pas prendre en faute, dp what you phase, but mind not le be found out.

À part les puissans motifs de foi, chacun selon ses tendances voit dans la religion un document humain de haute valeur, la plus noble expression du spiritualisme pratique, ou simplement une économie à réaliser sur les frais supplémentaires de police, de justice et de prison. L’intérêt, la vertu, le libéralisme et le cant s’accordent pour professer et imposer le respect des doctrines et de la liberté religieuses. La personne ou le parti qui, sortant des justes limites de la discussion convenable, arboreraient l’étendard de l’irréligion, seraient aussitôt suspects. Un candidat présidentiel affichant l’incrédulité n’aurait pas la moindre chance de réussir. Aucun des deux partis nationaux ne se risquerait à le présenter.

De son côté, le catholicisme s’est développé aux États-Unis, contrairement aux prévisions générales sur l’assimilation rapide de l’immigration irlandaise. « Combien de temps faut-il pour faire d’un Irlandais un Américain ? » — Une demi-heure environ, » répondait-on jadis. Que vaut aujourd’hui l’épigramme ? En tout cas, cinquante années n’ont pas suffi pour en faire un protestant. L’église catholique a grandi dans des proportions imposantes. Ce succès aura peut-être pour résultat, également imprévu, de modérer l’esprit de conquête ou d’annexion. Le protestantisme domine encore en Amérique, mais subdivisé en une multitude de confessions et de sectes diverses. Au contraire, par sa forte discipline, le catholicisme forme le groupe homogène de beaucoup le plus considérable, avec ses dix millions compacts de fidèles. L’annexion entrevue du Canada, de Cuba, du Mexique, et même des républiques d’origine espagnole jusqu’aux rixes du canal de Panama, en grossirait tellement le nombre que les protestans pourraient bien alors perdre la majorité. Sans prévoir de si loin, on peut constater que le vote catholique exerce déjà une influence notable et parfois décisive sur les affaires de l’Union. Le blâme ou l’approbation de