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et un émigrans de la Fleur de Mai (May flower), à peine débarqués au cap Cod, s’empressent de déclarer dans un acte solennel qu’ils ont entrepris leur voyage « pour la gloire de Dieu et l’honneur du roi. » Le premier document politique américain débute en invoquant le trône et l’autel. Un siècle et demi se passe ; les treize colonies se séparent de l’Angleterre et s’essaient à fonder un gouvernement libre. Les articles de la confédération, adoptés dès 1781, commencent et finissent par un appel à la protection divine. En 1876, la république veut fêter le centenaire de l’indépendance. C’est encore au Seigneur qu’elle rend un public hommage de reconnaissance. Le sénat et la chambre des représentais, réunis en congrès, proclament « avec adoration, au nom du peuple entier, que Dieu a été pour lui la fontaine et la source, l’auteur et le donateur de tous les biens. » Depuis l’origine jusqu’à nos jours, l’histoire américaine, dans ses phases les plus diverses, porte l’empreinte des préceptes chrétiens.

On répète souvent que le problème des relations entre l’église et l’état a été résolu en Amérique par la séparation absolue. L’assertion ainsi présentée n’est pas exacte. Tout d’abord, il faut distinguer ici, comme en beaucoup d’autres points, l’état particulier et l’état fédéral. À ce dernier seul, la constitution de 1787 retira le droit d’établir ou de prohiber l’exercice d’un culte quelconque. Cette interdiction même avait pour objet de consacrer la souveraineté locale dans le règlement des questions religieuses. Chaque état particulier restait maître d’attribuer à telle ou telle croyance un caractère officiel, et de la soutenir au moyen d’impôts pesant sur tous les citoyens indistinctement. Les constitutions locales, sauf celle de New-York, admettaient une connexion intime entre l’église et l’état. La plupart exigeaient des candidats aux emplois publics et des membres de la législature l’adhésion expresse à certains dogmes, à l’inspiration divine de l’Ancien et du Nouveaux-Testament par exemple, en Pensylvanie, ou au mystère de la sainte trinité dans le Delaware. Plusieurs autres (Géorgie, Caroline du Nord, etc.) imposaient une profession de foi protestante. Le christianisme était regardé comme le principe même de la common law. Cette doctrine, affirmée par les plus savans légistes, faisait jurisprudence devant les tribunaux.

Depuis une cinquantaine d’années environ, les différentes églises se sont constituées sous le régime de l’association volontaire ; les fidèles de chaque culte pourvoient seuls à son entretien. Mais, si la foi chrétienne a cessé d’être reconnue théoriquement par la loi d’après des raisons dogmatiques ou théologiques, elle l’est toujours en fait, à titre de religion nationale. Les Américains ne sauraient