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étaient sinon identiques, au moins strictement analogues à ceux des mystérieuses colonnes.

L’une d’entre elles, celle d’Allahabad, outre les édits d’Açoka, contenait une inscription qui, tout en résistant à la lecture, tout en accusant une parenté certaine avec le type ancien, se rapprochait un peu plus des écritures modernes; c’était un acheminement, un commencement de pont jeté sur l’abîme. Prinsep, sans parvenir à la déchiffrer, l’avait analysée avec un soin minutieux; quelques signes lui avaient livré leur secret. Tout un trésor d’observations, de pressentimens indécis, de conjectures hésitantes, s’était accumulé dans son esprit. Ces demi-clartés sont l’aurore des découvertes. La sienne put paraître aussi soudaine qu’éclatante ; elle était préparée de longue main, méritée par un persévérant effort. Il reçut coup sur coup, en mai 1837, des dessins qui reproduisaient, les uns des légendes de monnaies anciennes et jusqu’alors inexpliquées du Guzerat. les autres, de courtes épigraphes relevées sur des ruines bouddhiques assez voisines, à Santchi. Les monumens étaient d’antiquité inégale : les deux alphabets n’étaient pas identiques. Le premier, un peu moins ancien, contenait plusieurs élémens qu’éclairait la comparaison des alphabets modernes ; la lumière se fit tout à coup dans l’esprit de Prinsep : en peu d’heures, avec une sorte d’irrésistible spontanéité, avec une sûreté merveilleuse, il déchiffrait les légendes. Le second était très semblable à l’alphabet réfractaire des colonnes. Prinsep nous a raconté lui-même comment, en lithographiant ces courtes inscriptions dispersées sur un grand nombre de pierres sculptées ou de stèles, il avait été frappé de l’idée qu’elles devaient rappeler des donations : elles se terminaient toutes par deux caractères identiques ; il admit qu’ils représentaient le mot don : en sanscrit dânam, le latin donum; du même coup il enrichit de deux lettres nouvelles, qui jusque-là avaient dérouté ses tentatives, la liste encore courte des faits acquis. Il sembla que la dernière barrière fût tombée ; du même élan qui lui avait livré les monnaies du Guzerat, il pénétra les inscriptions de Santchi; il était du même coup maître de l’alphabet des colonnes : peu de jours après il en avait lu, et, avec l’aide de ses assistans natifs, traduit une première fois les textes si longtemps rebelles.

Mais les inscriptions des colonnes ne sont pas, il s’en faut, les seuls monumens que nous ait légués Açoka. Assez près de la côte méridionale de la presqu’île du Kathiawar, qui se rattache au Guzerat continental, s’élève brusquement, au milieu de la plaine infinie, une haute montagne au profil ferme et hardi; elle est tout enveloppée à la base d’un bassin couvert de jungles que ferme une chaîne