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toujours libres ; en beaucoup d’endroits, ils n’avaient pas ou ils n’avaient plus le droit de nomination. Tantôt, ce droit, par titre immémorial, appartenait à des corps provinciaux ou municipaux, laïques ou ecclésiastiques, à tel chapitre, abbaye ou collégiale, à l’évêque dans son diocèse, au seigneur dans sa seigneurie ; tantôt le roi, ayant possédé le droit, s’en était dessaisi et l’avait aliéné, en tout ou en partie, par faveur gratuite et concession d’une survivance, ou moyennant financé et par vente d’un office : bref, des privilèges héréditaires ou acquis lui liaient les mains. Il n’y a plus de privilèges pour gêner les mains du Premier Consul. Toute l’organisation civile date de lui : ainsi, tout le personnel civil est de son choix ; et le sien est bien plus nombreux que celui de l’ancien régime ; car il a étendu, au-delà de toutes les limites anciennes, les attributions de l’Etat ; directement ou indirectement, il nomme par centaines de mille tous les maires et conseillers municipaux ou généraux, tout le personnel de l’administration, des finances, de la judicature, du clergé, de l’Université, des travaux publics et de l’assistance publique, outre cela, les myriades d’officiers ministériels, notaires, avoués, huissiers, commissaires-priseurs et, par surcroit ou contrecoup, les membres de toute grande compagnie privée, puisque nulle entreprise collective, depuis la Banque de France et les journaux jusqu’aux messageries et aux tontines, ne peut s’établir sans sa permission ni subsister sans sa tolérance. Sans compter ceux-ci, après avoir défalqué de même les militaires en service actif et les fonctionnaires qui n’émargent pas, les préfets constatent, dès les premières minées, que, depuis 1789, le nombre des gens « employés ou soldés par l’État » a plus que doublé ; dans le Doubs, en l’an IX, au lieu de 916, c’est 1,820 ; dans la Meurthe, en l’an XIII, au lieu de 1,828, c’est 3,091 ; dans l’Ain, en 1806, au lieu de 955, c’est 1,771[1]. Quant à l’armée, elle a triplé, et, d’après les calculs du premier Consul lui-même, au lieu de 9,000 à 10,000 officiers comme en 1789, elle en a plus de 20,000. — Tous ces chiffres vont croître sur l’ancien territoire par le développement même de l’organisation nouvelle, par l’augmentation énorme de l’année, par le rétablissement du culte, par l’installation des droits réunis, par l’institution de l’Université, grâce au nombre croissant des officiers, des curés et desservans, des percepteurs et agens fiscaux, des professeurs et maîtres d’études, des invalides retraités et pensionnés[2].

  1. Statistiques des préfets. (Doubs, par Debry, p. 60 ; Meurthe, par Marquis, p. 115 ; Ain, par Bossi, p. 240.)
  2. Statistique de l’Ain, par Bossi, p. 1808. De 1140, en 1801, le nombre des employés et soldés par l’Etat s’élève à 1771, en 1806, et cette augmentation est attribuée par le préfet aux causes qu’on vient de lire.