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I.

A son entrée dans l’Inde proprement dite, au-delà de l’Indus, Alexandre se heurte surtout, dans des rapports tour à tour hostiles et pacifiques, à deux souverains : l’un, Taxiles, est le roi d’une ville de Takshaçilâ, alors l’une des plus importantes du Pendjab : le nom revient souvent dans la tradition des bouddhistes ; l’emplacement, marqué par de vastes débris, en a été déterminé avec beaucoup de vraisemblance; l’autre, le fameux et chevaleresque Porus, représentait, en continuant vers l’est, un royaume connu aussi de la tradition indoue, et qui, à en juger par le nom, devait se rattacher, au moins par des liens légendaires, à la race épique de Pourou, Pauras ou Pauravas. C’est au-delà de ses domaines, sur les rives de l’Hyphase, la Vipâçâ des Indiens, qu’Alexandre suspend sa marche et se décide au retour. Les régions plus lointaines qu’il renonçait à conquérir étaient, d’après les renseignemens qu’il recueillait, soumises à un maître puissant, le roi des Prasiens, c’est-à-dire des Prâtchyas ou u Orientaux. » Les Grecs touchaient en effet au plus étendu, au plus populeux des états de l’Inde. Il était à cette époque gouverné par le dernier prince d’une dynastie des Nandas. Les jours de cette famille étaient comptés.

Comme on devait s’y attendre, la retraite des Macédoniens fut le signal de mouvemens intérieurs. Un rôle important y est attribué à un aventurier que les Grecs nomment Sandrocottos ou Sandrogyptos. Il avait vu Alexandre et vécu dans son camp; mais, condamné à mort pour offense au conquérant, il avait cherché son salut dans la fuite. Il s’engagea dans la vie de partisan; elle le mena loin : quelques années plus tard, il avait renversé le pouvoir des Nandas, avait pris leur place et étendu son empire jusque sur le Pendjab. Cette élévation rapide dut frapper vivement les imaginations. Les informations trop courtes que nous donnent sur lui les historiens d’Alexandre sont déjà pénétrées d’exagération légendaire; dans la tradition même de l’Inde, le souvenir de Tchandragoupta, car telle est la forme exacte de son nom, s’entoura vite de récits merveilleux. Ce souvenir fut durable ; à une époque beaucoup plus moderne, il se reflète encore dans une sorte de drame historicpie qui nous est parvenu et qui met en scène, — nous ne pouvons juger avec quel degré d’exactitude, — l’histoire de l’entreprenant aventurier. Solidement installé dans son vaste domaine, Tchandragoupta se trouva en contact avec Séleucus, le successeur d’Alexandre dans l’Orient. Un traité intervint entre eux, des échanges d’ambassades et de présens. Un Grec, Mégasthène, alla