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fallait-il pas un digne pendant à l’Egypte, qui, elle aussi, s’ouvrait à la curiosité passionnée de la science européenne? Depuis, on a dû en rabattre: mais c’est le sort des démentis de ne déraciner qu’avec peine les préjugés qu’ont accrédités les affirmations hâtives. La critique a souffert ici d’un double désavantage : c’est par de lents efforts qu’elle s’est frayé un chemin; quels qu’aient été ces efforts, si certaines que puissent être ses conclusions négatives, elle n’est pas encore, elle ne sera peut-être jamais en état d’opposer aux fantaisies séduisantes ces résultats catégoriques, précis, dont la lumière crue dissipe sans retour les complaisantes illusions de la première heure.

Au temps qu’elles commençaient à perdre de leur empire, les esprits se tournèrent à l’étude nouvelle du Véda, aux théories et aux déductions brillantes de la mythologie comparative. C’était par la haute antiquité de ses traditions, par ses aspects en quelque sorte préhistoriques, ou réputés préhistoriques, que l’Inde reparaissait à l’horizon des lettrés. Cette fois encore, la séduction des combinaisons ingénieuses, des thèses vastes, faisait tort à la curiosité des faits définis.

Aujourd’hui que le bouddhisme attire surtout vers l’Inde les lecteurs européens, les rapprochemens suspects, les témérités d’une vulgarisation aussi ambitieuse que mal informée, nuisent une fois de plus a la diffusion de connaissances nettes. Égaré à plaisir, le public est chaque jour exposé à prendre au sérieux les thèses les plus étranges, et jusqu’aux mystifications du théosophisme et du « bouddhisme ésotérique. » Aux plus circonspects, l’Inde, je le crains, n’apparaît souvent que comme le lieu isolé dans l’histoire où flottent sans date, sans personnalité, sans forme, des imaginations fantastiques et nébuleuses. Ne fût-ce que par le contraste, il sera peut-être reposant d’y envisager quelques monumens parfaitement tangibles, dûment datés, d’une inspiration simple et pratique, quoique religieuse, où des noms étrangers attestent des rapports curieux avec le dehors. Ce sont les monumens mêmes qui, à plusieurs égards, sont devenus le point d’appui initial pour la reconstitution historique du passé.

Les documens épigraphiques ne manquent pas dans l’Inde : inscriptions votives retrouvées parmi les ruines des vieux monumens bouddhiques, stèles gravées dans les temples de toute date et de toute secte, plaques de cuivre restituées par les archives des familles brahmaniques et par le hasard des fouilles, où sont consignées les libéralités des rois envers les brahmanes dont ils voulaient honorer la science ou récompenser les services. La moisson est riche. Les monumens d’Açoka y tiennent sans comparaison la première place.