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Tel est le phénomène qu’il faut constater sans vouloir l’expliquer autrement que par l’inépuisable fécondité de l’épargne, à peine atteinte par la multiplicité des pertes individuelles, si cruelles qu’elles aient été. La spéculation a eu sa part d’action dans cette tenue merveilleuse de notre place, mais elle eût été impuissante si l’abondance des ressources qui vont s’accumulant sans cesse n’avait par elle-même, et dès le début, localisé la catastrophe.

Sans doute, la Banque de France, les établissemens de crédit et les grandes maisons financières dont la réunion constitue ce que l’on appelle la haute banque, ont rendu un grand service à la place et à la communauté financière en se coalisant pour fournir au Comptoir d’escompte les 180 millions qui lui ont permis de rembourser intégralement ses déposans. Une suspension même momentanée eût eu pour résultat un run général aux guichets de tous les établissemens de crédit, et le krach fût devenu universel. Les sauveteurs, en parant à ce péril, se sont sauvés eux-mêmes. La panique a été arrêtée. Bien que les cours du Crédit foncier, de la Société générale, du Crédit lyonnais, du Crédit industriel, des Dépôts, aient baissé dans une proportion plus ou moins forte, il ne s’agit plus là que d’un effet moral de la crise. Le crédit de ces sociétés reste intact. L’assemblée du Crédit lyonnais, tenue le 25 mars, a révélé une situation très solide et très prospère, 10 millions de bénéfices nets, acquis presque exclusivement en affaires de banque, et 25 francs de dividende. Les actionnaires du Crédit foncier, réunis en assemblée générale, le 3 avril, se convaincront sans peine, par les chiffres qui seront placés sous leurs yeux, de l’état brillant des affaires de leur Société.

Quoi qu’il en soit, il était temps que des faits précis, des sacrifices opportuns, vinssent démontrer aux yeux du public l’inanité des craintes qui auraient pu l’assaillir et auxquelles il a eu le bon sens de ne pas s’abandonner.

Le calme est donc revenu sur le marché. Il ne reste plus qu’à parer aux dangers de la liquidation. Quant aux valeurs directement atteintes par la crise, elles sont jusqu’à présent abandonnées à leur malheureux sort. Les métaux valent 25 francs, et le Comptoir d’escompte a baissé jusqu’à 80 francs. Toutefois, il s’est relevé jusqu’à 120 francs, reprise due à l’annonce des premiers résultats de l’étude faite sur la situation de l’établissement par les deux administrateurs provisoires que le tribunal a désignés pour prendre la gestion du Comptoir, en préparer la liquidation et réunir l’Assemblée générale des actionnaires. Cette assemblée est convoquée pour le 29 avril. Un rapport sommaire des administrateurs provisoires conclut à la responsabilité des membres du conseil d’administration. Pour le surplus, le sort des actionnaires dépendra de la bonne réalisation des divers élémens d’actifs donnés en gage pour 207 millions contre une avance de 179 millions.