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révolutionnaire de Paris. Aujourd’hui, à la veille de cette exposition, objet de faux présages, c’est le premier ministre de Hongrie qui se voit lui-même menacé de tomber, victime dans sa propre capitale de violences de parlement, de tumultes populaires qui ne sont point exclusivement, à ce qu’il parait, le privilège de la France. Il n’avait pas tout prévu, et la simple, la modeste moralité de l’incident est qu’il faudrait, autant que possible, éviter de jeter la pierre aux autres pour ne point s’exposer à des représailles trop faciles et parfaitement inutiles.

Aucun pays de nos jours n’est à l’abri des crises ; qu’elles tiennent à toute une situation intérieure ou extérieure, à des luttes de partis, à des troubles économiques et financiers ou même à la disparition d’un souverain, ce sont toujours des crises. Celle dont la Hollande est menacée par la maladie à peu près désespérée du roi Guillaume, sans créer pour le pays un péril immédiat, n’a pas moins sa gravité, et parce qu’elle ouvre l’ère toujours difficile d’une minorité et par les conséquences diplomatiques qu’elle peut avoir. Le roi Guillaume, le dernier héritier de la maison d’Orange, est encore vivant, il est vrai. Malheureusement, c’est un fait qu’on ne peut plus cacher, il n’est plus depuis quelque temps qu’une ombre de souverain dans le château de Loo, il ne règne plus ; c’est la reine Emma qui est son conseil et son interprète, qui, à vrai dire, règne pour lui. Le ministère de La Haye, dont le président est M. de Mackay, a pu jusqu’ici par prudence prolonger cette fiction, essayer de voiler cette situation. Aujourd’hui, il se croit obligé de dégager sa responsabilité, de proposer des mesures pour l’institution d’une régence appelée à exercer les prérogatives d’une royauté irréparablement frappée d’impuissance ; mais c’est là justement le point délicat. La régence pour une minorité est prévue et définie par la constitution ; aucune loi ne prévoit la régence avec le roi tombé dans l’incapacité. S’il n’y avait que la Hollande, ce ne serait encore rien ; mais il y a le grand-duché de Luxembourg, qui à la mort du roi Guillaume doit passer au duc de Nassau, et ici s’élève la question la plus épineuse. La régence qui va être instituée continuera-t-elle à gouverner le Luxembourg tant que le roi vivra ? Le duc de Nassau sera-t-il appelé à régner par anticipation sous le nom de régent ? C’est un incident bien simple en apparence ; si simple qu’il paraisse, il n’a pas moins une certaine importance diplomatique, et cette mort prévue du dernier représentant d’une des plus illustres maisons souveraines, cette disparition du roi de Hollande qui est la fin d’une histoire, peut avoir aussi sa signification en Europe.


CH. DE MAZADE.