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passion ; elle n’a servi qu’à enflammer encore plus l’opposition. Les discussions ont bientôt pris un caractère d’emportement extrême : on en est venu jusqu’à s’attaquer aux droits de la dynastie, jusqu’à mettre en doute l’intégrité, la probité du chef du cabinet, accusé d’avoir abusé de son pouvoir dans un intérêt personnel, et à la violence des discours dans la chambre a répondu la violence des manifestations populaires. Il a fallu employer, pour le maintien de l’ordre, non plus seulement les forces de police, mais les troupes régulières, la garnison de Pesth, et la répression n’a fait qu’exaspérer les passions. On a été obligé de faire escorter la voiture de M. Tisza par des détachemens de cavalerie, et ce n’est que par un heureux hasard que le premier ministre a pu échapper à la grêle de pierres dont il était assailli. Jusque dans l’enceinte du parlement, des luttes sanglantes se sont produites ; un député de la majorité ministérielle, M. Rohonczi, violemment interpellé dans les couloirs par un jeune étudiant, a riposté par un coup de revolver qui a blessé assez sérieusement son adversaire. On ne pouvait aller plus loin sans tomber dans la guerre civile.

Le danger est peut-être apparu alors. C’est du moins le moment où tout a semblé s’apaiser à demi, et on a fini par voter à peu près tant bien que mal, non sans d’ardentes protestations, la loi qui a soulevé tant de passions ; mais il est clair qu’au point où en sont les choses à Pesth, la loi fût-elle votée jusqu’au bout, ce n’est point un dénoûment. C’est la première fois depuis sa réconciliation que la Hongrie s’est vue emportée dans un tourbillon presque révolutionnaire, et des crises de ce genre ne s’apaisent pas en un jour, par de simples palliatifs, dans un pays aux sentimens ardens, jaloux de ses droits jusqu’à l’excès. M. Tisza a certes déployé un rare courage dans ces heures difficiles. Il a bravé l’impopularité et les orages qui l’ont assailli ; il ne sort pas moins de cette lutte atteint dans son crédit, dans son ascendant. Il l’était déjà il y a quelques semaines, il l’est encore plus aujourd’hui, après ces dernières scènes qui se sont passées à Pesth, et la seule issue pour lui désormais, c’est une retraite qui est peut-être dans ses désirs, que sa raison paraît considérer comme inévitable. Il a pu refuser de quitter le pouvoir dans le feu du combat, dans des circonstances où sa démission aurait ressemblé à une désertion devant le péril ; aujourd’hui, sa présence aux affaires ne serait qu’un obstacle de plus à la pacification des esprits et les remaniemens ministériels auxquels il vient de se prêter ne sont probablement que le prélude d’une reconstitution plus complète du ministère hongrois. Étrange retour des choses ! Il y a un an à peine, M. Tisza, peut-être pour plaire à de plus puissans que lui, détournait ses compatriotes de participer à l’exposition française, et dans un langage assez risqué il allait jusqu’à mettre en doute la sécurité que les exposans hongrois trouveraient dans la ville