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dus. La France n’est pas assez déshéritée de ses vieux dons pour n’être pas toujours flattée des visites qu’on lui fait, encore plus quand c’est une femme qui est son hôte. Par une coïncidence qui n’a rien que de naturel, et qui est peut-être pourtant assez piquante, ce séjour de la reine Victoria à Biarritz a été l’occasion d’une entrevue de la souveraine anglaise et de la reine régente d’Espagne, venue tout exprès de Madrid. C’est à quelques lieues de la frontière, à Saint-Sébastien, que se sont rencontrées, pour quelques heures, les deux princesses, et dans l’entrevue il n’a été probablement question ni des armemens, ni de l’équilibre de la Méditerranée, ni de l’entrée de l’Espagne dans la triple ou la quadruple ou la quintuple alliance. Tout s’est passé aussi simplement, aussi paisiblement que possible, au milieu des fleurs qu’on avait fait venir de Nice, autre terre française, — après quoi la reine Victoria a regagné Biarritz escortée par nos soldats. Nous voici un peu loin du blocus de Brest médité par lord Beresford, du futur siège de Toulon, des coalitions européennes, et même des entretiens mystérieux du comte Herbert de Bismarck avec lord Salisbury au sujet de Samoa ou de la politique de l’Angleterre !

Cette triple alliance dont on ne cesse de parler, qu’on voit partout, même dans le voyage de M. Herbert de Bismarck à Londres, elle ne paraît pas être, pour le moment, dans une phase des plus brillantes, et elle n’est pas faite pour tenter ceux qui ont gardé leur liberté. Si elle reste le signe visible de la suprématie de celui qui l’a imaginée et créée, du tout-puissant chancelier d’Allemagne, elle n’a été jusqu’ici qu’une source de difficultés et d’embarras intérieurs pour ceux qui ont cru y trouver une force ou une garantie nouvelle. C’est, en définitive, pour la triple alliance que l’Autriche a voulu renouveler sa loi militaire, et c’est avec cette loi militaire qu’elle a provoqué sans le vouloir, sans le savoir, en Hongrie, une agitation des plus périlleuses, une crise redoutable qui, depuis près de deux mois, se déroule à travers les plus dramatiques péripéties sans toucher à un dénoûment. Un instant, au début, on a pu croire que ce ne serait qu’une effervescence passagère du sentiment national, que l’ardeur des passions si violemment surexcitées s’épuiserait par la discussion, et qu’après des débats enflammés tout se calmerait. Il n’en a rien été. L’agitation n’a fait que s’aggraver et s’envenimer en passant tour à tour du parlement dans la rue, de la rue dans le parlement. Chaque jour la lutte a recommencé, tantôt sur les droits constitutionnels de la Hongrie qui seraient violés par la loi militaire, tantôt sur le volontariat ou sur l’emploi de la langue allemande dans le service. La présence de l’empereur à Pesth n’y a rien fait. L’énergie qu’a déployée le premier ministre hongrois, M. Tisza, pour une loi qu’il s’était flatté, qu’il avait promis d’obtenir de sa majorité, cette énergie n’a désarmé aucune