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le crédit, touchent à la politique. A quoi tient ce désastre du Comptoir d’escompte qui a été un moment une assez pénible diversion dans nos affaires ? Il est malheureusement lui aussi, la suite de cette triste contagion d’irrégularité et d’illégalité qui règne aujourd’hui, qui semble emporter tout le monde. Il est certain que, si le Comptoir d’escompte, qui était la plus vieille maison de crédit après la Banque de France, était resté ce qu’il devait être, fidèle à sa destination et à ses statuts, il n’aurait couru aucun danger. Il a sombré sous le poids d’une opération sur les métaux à laquelle il s’est acharné, qui n’était qu’une spéculation hardie tentée en dehors de ses statuts, contre la loi elle-même. Ce qu’il y avait de plus grave, c’est que la ruine du Comptoir frappait tout le petit commerce de Paris, en même temps qu’elle entraînait la disparition de ses succursales, qui représentent le crédit français dans l’extrême Orient, sur les points les plus lointains du globe. C’est pour cela précisément que le gouvernement s’est décidé à intervenir, non pour prévenir une catastrophe désormais irréparable, mais pour en atténuer les effets et préparer la transformation d’une institution utile au commerce. M. le ministre des finances, avec autant de résolution que de clairvoyance, il faut le dire, n’a point hésité à engager sa responsabilité en faisant appel à toutes les grandes maisons financières, à la Banque de France elle-même.

C’était pour ainsi dire un acte de sauvetage nécessaire pour arrêter la panique, pour détourner une crise dont l’extension pouvait devenir la ruine momentanée du marché français. M. le ministre des finances a donc eu raison, à condition toutefois de ne pas recommencer souvent, de ménager la Banque de France, qui doit rester intacte comme la dernière sauvegarde, comme le puissant instrument de notre crédit pour les grandes crises. Il a servi la cause publique en politique prévoyant. La question est de savoir si ce qu’on a fait d’un côté, on ne le compromettrait pas de l’autre, en se jetant dans des répressions et des luttes à outrance qui ne feraient qu’enflammer les esprits, raviver sans cesse les agitations à la veille de l’Exposition prête à s’ouvrir.

Autant la vie européenne est à certaines heures agitée et troublée par les querelles des puissans du monde, par les perspectives d’inévitables conflits, autant elle est ou elle paraît en d’autres momens tranquille et apaisée. Si ce n’était l’excès des arméniens faits pour rappeler sans cesse les préoccupations obstinées des peuples ou des gouvernemens, on dirait que l’Europe n’a été jamais, plus qu’aujourd’hui, dans une ère de paix. Il n’y a pas de souverain qui ne parle de la paix ; il n’y a pas de ministre qui ne saisisse l’occasion, quand il le peut, de renouveler les plus rassurantes protestations. Si l’on s’arme, si l’on s’allie, c’est toujours pour la paix, on continue du moins par habitude à le répéter. Tout a jusqu’ici une assez bonne apparence, et à moins