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mort aussi prématurément. Il s’éteignit à vingt-six ans, usé par une phtisie pulmonaire que ne put guérir ni le soleil de Naples, ni la paix cherchée dans le cloître des Franciscains de Pouzzoles. D’autres causes, dit-on, hâtèrent sa fin. Les uns prétendent qu’il aima trop les femmes ; d’autres, qu’il aima trop une femme. Le savant archiviste de je ne sais plus quel conservatoire italien, le chevalier Francesco Florimo, s’autorisant de certains papiers de famille trouvés chez le prince de Colobrano, a popularisé le roman que voici, et mis le dernier rayon à l’auréole de poésie et de malheur qui ceignait déjà cette jeune tête.

Pergolèse aimait une de ses élèves, Maria Spinelli, qui lui rendait sa tendresse. Mais un soir, les trois frères de la jeune fille entrèrent dans la chambre de leur sœur, et, l’épée nue, ils lui firent jurer, sous menace de mort, qu’avant deux jours elle renoncerait à son amour et choisirait un époux plus digne d’elle. Le lendemain, Maria prit le voile : elle avait choisi le fiancé divin. Peu de mois après, les cloches du couvent sonnaient la mort de sœur Maria. Pergolèse, consumé par la maladie qui déjà le dévorait, les yeux creusés par la fièvre et par le chagrin, voulut diriger lui-même le Requiem qu’on chanta pour sa bien-aimée. Si la légende n’est pas mensongère, quelles plaintes durent s’exhaler des orgues, jouées par les mains tremblantes de ce mourant auprès de cette morte ! « Tre giorni son che Nina. Il y a trois jours que Nina est endormie, et ce sommeil la tue ! Fifres et timbales, retentissez ! Réveillez ma Ninette et qu’elle ne dorme plus ! » Vous vous souvenez de cette poignante canzone qui suffirait à la gloire d’un maître. C’est elle qui dut retentir, le jour de l’enterrement de Maria, sous les voûtes de la chapelle, et jamais la fameuse gamme svegliate la mia Ninetta, cette gamme si simple et si désespérée, n’aura déchiré l’air d’un si affreux sanglot. L’infortuné appelait en vain à son secours toutes les voix de ses orgues chéries et tous les cris de son cœur ; sa Ninette dormait le sommeil dont on ne s’éveille pas, et un an plus tard, en 1736, il alla lui-même s’endormir auprès d’elle.

Mais laissons la musique d’église et de deuil pour l’œuvre qui fut le sourire, le rire même de Pergolèse, la Servante maîtresse. La Serva padrona fut représentée pour la première fois à Naples en 1733, sur le petit théâtre San Bartolomeo, avec un succès prodigieux. Au mois d’août 1752, les bouffons du signor Bambini la donnèrent à l’Opéra de Paris, et l’on sait quel tapage s’ensuivit, quelle illustre querelle, et enfin, sur la scène française, quelle lignée de chefs-d’œuvre. En 1754, deux ans après sa première apparition en italien, la Servante maîtresse reparut, accommodée à la française par Baurans, ancien substitut au parlement de Toulouse, répétiteur au lycée Louis-le-Grand, lié avec Laruette, Mme Favart, Jean-Jacques et les bouffonistes du café Procope, et qui depuis longtemps attendait dans une demi-misère une occasion