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chinoise comprend entre autres deux croiseurs Armstrong, le Ching-Yuen et le Chi-Yuen, construits en 1887, — et qui oui presque atteint la vitesse de 19 nœuds durant les manœuvres récentes. Il n’y a pas dans les mers de la Chine un seul croiseur anglais qui puisse les suivre. Les autorités navales chinoises viennent d’entreprendre la construction d’une série de torpilleurs à l’arsenal de Fou-tchéou, sur le modèle du Yarrow, sorti d’un chantier de la Tamise il y a environ deux ans, et qui est considéré comme presque parfait. « La flotte de Li-Hung-Chang ne prête pas à rire, disait récemment un Anglais bien informé ; bien dirigée, avec de bons équipages, elle serait pour notre flotte d’Orient un ennemi dangereux à attaquer. Or la flotte de Li, l’escadre Pei-Yang, n’est qu’une partie des ressources navales de la Chine. Quoique les escadres de Canton et de Fou-tchéou traversent une période critique, elles aussi sont en progrès, et, quand les trois flottes auront été réunies sous la même direction et le même contrôle, elles formeront une force imposante. »

Li-Hung-Chang travaille aussi à la réorganisation de l’armée. Et la France ni l’Angleterre ne peuvent oublier qu’en s’avançant au Thibet, en Birmanie, au Tonkin, en cherchant le contact de l’empire chinois, elles lui ont donné une prise directe sur elles.

Si nous n’avons pas cru devoir partager les craintes bruyantes des Australiens, si nous nous sommes refusé à prédire la submersion de la race blanche sous une immense nappe jaune, nous n’en avons pas moins reconnu que l’agitation antichinoise, qui se répand comme un mal contagieux de Californie aux îles Sandwich, des Sandwich en Australie, d’Australie aux Philippines, est le symptôme d’une lutte qui ne fait que de commencer. Elle s’annonce comme une lutte de races, mais elle sera surtout une lutte économique. Les armes employées seront l’activité industrielle et l’habileté commerciale. Peut-être verrons-nous notre marché écrasé, nos ouvriers réduits à la famine : alors nous en viendrons aux expédiens que la nécessité pressante nous suggérera. Après avoir ouvert la Chine à coups de canon au nom de la civilisation, nous en viendrons à élever contre l’invasion des produits de l’extrême Orient notre muraille de Chine : nous ferons des lois contre le Fils du Ciel, nous lui fermerons nos ports : nous retomberons dans la « barbarie » d’où nous prétendions l’avoir tiré. Les « barbares » seront vengés !


MAX LECLERC.