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façon dont la question se pose et dont les négociations sont engagées. Le même correspondant du Times, qui semble s’être donné pour mission de mettre le public britannique au courant des intentions de la diplomatie chinoise, dit : « Le traité a été rejeté parce qu’il était tel qu’aucune puissance indépendante et jalouse de sa dignité n’en aurait voulu signer un pareil. » Pourquoi le Tsung-li-Yamên a-t-il attendu à la dernière minute pour anéantir une convention lentement élaborée ? Parce que la diplomatie est un art nouveau en Chine ; parce qu’aucune loi n’y a jamais clairement déterminé à qui revient le pouvoir de conclure les traités. Les choses se passent ainsi : le Tsung-li-Yamên consent à négocier ; mais toutes les négociations, même le fait qu’elles sont engagées, sont tenus secrets, jusqu’au jour où le résultat final est rendu public ; c’est alors seulement que l’opinion publique dit son mot[1], et le gouvernement règle sa conduite en conséquence. Dans le cas présent, toutes les illégalités, tous les mauvais traitemens auxquels les Chinois ont été en butte, furent révélés à la fois : car à la nouvelle que le gouvernement anglais allait négocier un traité avec celui de Pékin, les corporations chinoises d’Australie se mirent non-seulement en relation avec le ministre de Chine à Londres, mais hardiment télégraphièrent leurs griefs au Tsung-li-Yamên. « La situation de la Chine dans l’espèce est fort simple : elle n’a en aucune façon le devoir d’aider les puissances étrangères à se tirer de leurs difficultés intérieures ; elle n’a point de propositions à faire, elle maintient les droits accordés à ses sujets par les traités. »

Si l’on se souvient des déclarations énergiques du marquis Tseng, on comprendra que la Chine ne soit pas disposée à rien abandonner de ses droits et qu’elle soit décidée au contraire à les faire respecter. Le marquis exerce aujourd’hui une influence considérable sur les affaires étrangères de l’empire. Quelque intérêt qu’ait la Chine à entretenir des relations amicales avec l’Angleterre, elle n’ira pas jusqu’à se remettre entre ses mains sans condition. Il y a bien des raisons de croire qu’elle sent toute la force de sa situation et qu’elle ne signera plus de traités sans y trouver, elle aussi, son avantage ; elle se sait « grande puissance ; » et le propre d’une grande puissance, — elle l’a appris à ses dépens. — n’est-il pas d’exiger beaucoup en donnant peu ? Aussi bon nombre de sujets britanniques trouvent-ils qu’il est risqué d’engager des négociations avec la Chine,

  1. Il arrive parfois que le populaire manifeste assez brutalement son opinion. On télégraphiait au Standard, le 6 septembre, de Shang-Haï : « La question de savoir si le traité avec les États-Unis, relatif à l’émigration, sera ratifié après modifications, suscite d’âpres discussions. Des émeutes ont éclaté à Canton, où le palais du ministre chinois à Washington a été assailli par la populace, furieuse du rôle qu’il a joué dans la négociation de la convention. »