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milieu de nous de cette classe à part entraîne des conséquences très fâcheuses. Le Chinois est laborieux : n’ayant, que peu de besoins, pas de femme ni d’enfans à nourrir, il est disposé à travailler à plus bas prix que nos ouvriers ; de plus, le nombre d’heures de travail qu’il fournit est bien supérieur à celui qui a cours ici… » On reproche aux Célestes de fumer l’opium, d’être des joueurs effrénés, d’avoir un penchant irrésistible à former des sociétés secrètes. Enfin, avec le plus grand sérieux, les ministres de Victoria, de Queensland, de la Nouvelle-Galles, déclarent que la pureté de la race blanche est en danger, que la race même est menacée de disparaître sous une couche uniforme d’envahisseurs jaunes. L’enfant né d’un Chinois et d’une femme blanche va toujours chercher ses ressemblances du côté du père : c’est là encore un des grands crimes de John Chinaman. La conférence intercoloniale réunie à Sydney déclare qu’elle « attend avec confiance du gouvernement de Sa Majesté qu’il fournisse aux colonies australiennes aide et assistance dans leurs efforts pour mettre leur pays à l’abri du danger d’être inondé par une race étrangère. » Et lord Salisbury, dans la dépêche que, quelques jours après avoir reçu ce message, il adressait à sir John Walsham, ministre à Pékin, pour lui recommander d’entrer en négociation avec le Tsung-li-Yamên, parle « du droit qu’ont les colonies australiennes de prendre telles mesures législatives qu’elles jugent nécessaires pour maintenir en Australie la prépondérance et la suprématie de la race britannique. » La presse métropolitaine se fit l’écho de ces cris d’alarme : « Il ne s’agit de rien moins que de décider quel sera le type de la future race australienne[1]. »

Les discussions, les polémiques que cette agitation antichinoise a soulevées, l’action diplomatique qu’elle a amené le gouvernement de Londres à engager, les débats du parlement, l’attitude des politiciens coloniaux, celle des ministres de la reine, ont éclairé d’un jour tout particulier les rapports de la colonie et de la métropole. Nul n’ignore qu’il existe dans la colonie un parti remuant qui a pour mot d’ordre : « L’Australie aux Australiens ! » D’autre part, la longanimité de la métropole britannique à l’égard des fantaisies, des velléités d’indépendance de ses diverses colonies est devenue proverbiale ; mais il faut avouer qu’en cette occurrence l’Australie s’est montrée singulièrement ombrageuse et particulièrement égoïste. Le Premier de la Nouvelle-Galles, sir Henry Parkes, prononçait au parlement de Sydney ces paroles étranges : « Ce n’est point les cuirassés de Sa Majesté, ni le représentant de la reine en Australie, ni le secrétaire d’état aux colonies qui nous feront dévier d’une

  1. Times ; 22 mai 1888.