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des chantiers australiens, remmenant les premiers comme passagers. Le capitaine propose de s’engager à ne plus revenir ayant des Chinois dans l’équipage : la trade-union, sentant sa force irrésistible, n’admet pas de transaction : le capitaine est obligé de céder.

Il ne manque pas de gens pour regretter sincèrement cette exclusion systématique du Chinois. — Les amis des Australiens leur font observer qu’ils commettent une faute, qu’ils niellent en danger l’avenir de leur colonie en refusant la main-d’œuvre étrangère à bon marché ; que l’Australie est immense, qu’il reste beaucoup à faire, qu’il reste à défricher, à planter, à fouiller le sous-sol minier ; que, dans bien des cas, le climat interdit tout travail de ce genre au blanc ; qu’il faudra recourir au Chinois, tout disposé à l’entreprendre, ou laisser dormir des richesses incalculables.

Il s’élève des voix indépendantes et désintéressées au milieu des clameurs intransigeantes : « Il est révoltant de penser, écrit un Néo-Zélandais, que les destinées d’un vaste territoire, dépassant en étendue, en richesse et en splendeur les plus puissans états du vieux monde, seraient à la merci de quelques petits dans agités, aveuglés par l’esprit de classe, et cantonnés dans un coin de la côte sud-est d’Australie. » — A la séance du 8 juin 1888. à la chambre des lords, lord Derby, tirant à sa manière la morale de l’agitation australienne, mais se défendant, d’intervenir dans une question dont la solution, selon lui, devait être laissée au jugement indépendant de la colonie, disait : « On parle beaucoup aujourd’hui de vastes plans d’émigration en masse pour répandre notre surplus de population dans nos colonies. Si nous en venions à l’exécution, et si le résultat était de faire baisser le taux des salaires, les immigrans auraient beau être Anglais et non plus Chinois, ils ne seraient pas moins impopulaires parmi les classes ouvrières de la colonie que les Chinois ne sont aujourd’hui. » Tout le monde n’a pas les moyens d’être aussi philosophe que lord Derby ; et parmi les habitans peu fortunés de la métropole, prêts à émigrer à leur tour, plus d’un eut pu répondre au « noble lord » que c’est, en tout cas, de la part de quelques dizaines de mille de travailleurs blancs établis dans « un coin » du continent australien, une singulière prétention que de vouloir traiter en pays conquis cette terre immense qui pourrait recevoir et nourrir une population cent fois plus nombreuse.

Il reste à expliquer pourquoi les gouvernemens australiens, et en particulier celui de la Nouvelle-Galles ont pris en main avec une telle vigueur la cause des travailleurs blancs, pourquoi ils ont épousé leurs griefs, partagé leurs préjugés, simulé avec eux une panique injustifiable. C’est parce que le temps des élections