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lutte et mettre tout son pouvoir, — même arbitraire, — au service du travailleur blanc. D’autre part, un colon écrit de Sydney en avril[1] : « L’agitation est purement l’œuvre des classes ouvrières (wage-earning classes)… Jusqu’à présent, l’influence des Chinois sur les salaires n’a pu être que très restreinte, puisque les taux restent extrêmement élevés : par exemple, la journée de huit heures pour les maçons est payée 11 shillings ; le salaire minimum payé sur les chemins de fer de la Nouvelle-Galles est 7 shillings. » Un autre colon australien, qui ne craint pas de signer, écrit[2] : « Les Chinois ne travaillent pas à plus bas prix que les européens ; bien plus, ils sont souvent mieux payés. » Pourquoi leur donne-t-on la préférence là où la concurrence s’établit ? D’abord parce que le Chinois a des qualités positives, tandis que « l’ouvrier européen est généralement indolent, demandant le salaire le plus haut pour le moins de travail possible. En ville comme à la campagne, un grand nombre d’entre eux mendient, et même vont jusqu’à exiger de la nourriture comme un droit. Il n’est pas rare, par exemple, que dix ou vingt forts gaillards aillent frapper le soir à la porte d’une station en demandant des alimens. On leur en donne, et souvent même on fait la cuisine pour eux. Pourquoi, dira-t-on, le squatter se laisse-t-il ainsi rançonner ? Par la simple raison qu’il a peur d’être incendié, — ce qui arrive assez fréquemment. »

Les trade-unions sont bien autrement puissantes en Australie que dans la métropole : cela tient sans doute au fait que tout citoyen qui a six mois de résidence dans la colonie est électeur. Ce sont elles qui ont organisé l’agitation : elles ont juré d’expulser jusqu’au dernier Chinois. Elles disposent d’une forcé redoutable. Tout ouvrier qui n’est pas membre d’une trade-union a bien des chances de ne pas trouver à gagner son pain. Un ouvrier non-union qui accepte de l’ouvrage au-dessous du tarif fixé est mis à l’index sans merci, ainsi que celui qui l’emploie, et les conséquences rappellent celles du boycottage irlandais. Dans les villes, il est malaisé d’échapper à cette tyrannie ; dans les campagnes, le squatter, plus à l’abri des menaces des trade-unions, n’hésite guère, fatigué des habitudes d’ivrognerie et de désordre dont ne sont exempts que bien peu des pâtres et travailleurs de sa propre couleur, à prendre pour les remplacer de sobres fils du Ciel. — Récemment, un vapeur postal arrive de Nouvelle-Zélande à Sydney ayant à bord des chauffeurs chinois, le syndicat des travailleurs du port de Sydney déclare au capitaine que son navire ne sera pas déchargé tant qu’il n’aura pas remplacé les chauffeurs chinois par

  1. Times, 19 mai 1888.
  2. Ibid., 4 septembre 1888.