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déterminer la position de cet astre à l’aide des erreurs ou résidus des Tables d’Uranus, qui allaient jusqu’à 20", et qu’il attribuait, avec raison, aux perturbations produites par une planète inconnue. Le jour où il put annoncer à l’Académie des sciences que M. Galle avait rencontré cette planète à la place indiquée, il ajoutait : « Ce succès doit nous laisser espérer qu’après trente ou quarante années d’observations de la nouvelle planète on pourra l’employer, à son tour, à la découverte de celle qui la suit dans l’ordre des distances au soleil[1]. » En continuant ainsi, « on tombera malheureusement bientôt sur des astres invisibles, à cause de leur immense distance au soleil, mais dont les orbites finiront, dans la suite des siècles, par être tracées avec une grande exactitude, au moyen de la théorie des inégalités séculaires. » Plus de quarante ans se sont écoulés depuis la découverte de Neptune sans que l’espoir de Le verrier se soit réalisé ; c’est que ses formules représentent toujours avec précision non-seulement les observations de Neptune faites depuis 1846, mais encore quelques observations beaucoup plus anciennes (Lalande avait rencontré la planète deux fois, en 1795, et l’avait inscrite dans son catalogue comme une étoile de 8e grandeur). On ne sait donc sur quoi s’appuyer pour renouveler la prodigieuse découverte de Le verrier, qui déjà elle-même n’a été possible que grâce à un heureux concours de circonstances. C’est ce qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître en lisant l’exposé magistral que M. Tisserand a fait de l’histoire de la découverte de Neptune dans le tome Ier de son Traité de mécanique céleste, qui a paru il y a quelques mois.

La planète transneptunienne, si elle existe, se trouve peut-être à une distance très grande, dépassant plus de 100 fois le rayon de l’orbite terrestre, ou bien sa masse est relativement faible, et l’action qu’elle exerce ne s’accusera qu’à la longue ; n’oublions pas que c’est à peine si Neptune a parcouru le quart de son orbite depuis l’époque de sa découverte. Il se pourrait même que l’action d’une masse relativement forte restât longtemps cachée pour nous, en se confondant avec celle des autres planètes. Il y a donc peu de chances de découvrir l’astre hypothétique par la seule vertu de la loi de Newton. Il faudra plutôt compter sur un heureux hasard poulie reconnaître au milieu des étoiles de 12e ou 13e grandeur, parmi lesquelles il se trouve sans doute égaré. Tout cela n’a pas empoché M. David P. Todd de se constituer le prophète de la planète transneptunienne, dont il poursuit la recherche, depuis 1874, par l’exploration systématique de certaines régions du ciel[2].

  1. Galle ayant proposé pour la nouvelle planète le nom de Janus, Le Verrier lui répond : « Le nom de Janus indiquerait que cette planète est la dernière du système solaire, ce qu’il n’y a aucune raison de croire. »
  2. Account of a speculative and practical search for a transneptunian planet, 1880. (Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences, 1880-1886.)