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de soixante-deux ans deux mois. Mais entre cet âge et celui de soixante-dix, quel intervalle, surtout pour des ouvriers qui travaillent avec leur force physique et non avec leur force intellectuelle ! La plupart des ouvriers allemands auront traversé les plus dures privations et seront couches dans la tombe avant de pouvoir jouir de la retraite que la loi en projet promet aux septuagénaires.

Cette pension, si tardive, combien, en outre, elle est modique ! 90 à 210 francs par an, qui peut vivre avec cela, même avec le chiffre le plus élevé ? En France, la retraite moyenne pour les fonctionnaires de la partie active (opposée à la partie sédentaire) des postes et des télégraphes, c’est-à-dire principalement pour les facteurs, s’élève, en 1886, à 518 francs ; la retraite moyenne pour les fonctionnaires de la partie active du ministère de l’agriculture (toujours opposée à la partie sédentaire ou aux emplois de bureau) monte à 499 francs ; c’est surtout des gardes-forestiers, des éclusiers qu’il s’agit là. Or, dans les chambres, il se rencontre toujours des députés qui prétendent que ces retraites sont insignifiantes et qui proposent de les élever. Que serait-ce des 90 à 210 francs que la loi allemande offre comme idéal aux ouvriers de plus de soixante-dix ans ? Néanmoins, même dans ces conditions si peu efficaces, ces retraites coûteraient fort cher. Le projet allemand prévoit une charge annuelle de 195 millions pour le service des retraites promises quand la loi sera en plein fonctionnement. Mais, d’après les mécomptes qui sont inévitables en pareils cas. Il est à craindre que cette somme ne soit fort insuffisante. Puis, il faudra incontestablement augmenter le chiffre des retraites et abaisser l’âge où elles sont acquises. L’état moderne, l’état parlementaire ou représentatif, l’état qui a affaire au corps électoral (même la puissante monarchie prussienne est dans ce cas), ne peut résister à la poussée universelle, quand il a soulevé les universelles espérances et les universelles illusions. Le principe de l’abstinence absolue est ici de rigueur : l’état peut s’abstenir de promettre des pensions de retraite à l’ensemble des ouvriers du pays ; mais une fois qu’il a renoncé à cette abstention, il n’est plus maître de réduire à des chiffres infimes ni ces pensions ni cette participation. Au point de vue financier, le projet de loi allemand repose sur la capitalisation à intérêts composés, pendant une très longue période, des cotisations diverses à verser par les ouvriers, par les patrons et par l’état. On tiendra donc des sommes énormes à la disposition de l’état et des caisses officielles. Qu’en fera-t-on ? On achètera des titres de la dette publique ou l’on mettra cet argent en compte-courant au trésor, c’est-à-dire qu’on donnera à toutes ces sommes une destination passive. On les tirera de tous les hameaux, de tous