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libres. Chaque caisse a ses statuts et est gérée, d’après certaines conditions générales, par un comité de membres ouvriers et de patrons, les premiers dans la proportion des deux tiers contre un tiers. Les statuts peuvent être modifiés avec l’approbation du gouvernement. Un inspecteur spécial gouvernemental a le droit d’ingérence dans la comptabilité. Les cotisations sont fournies jusqu’à concurrence des deux tiers par les ouvriers aux jours de paie, et pour l’autre tiers par le patron. L’ouvrier a droit aux médicamens, aux visites du médecin et à une indemnité qui égale la moitié du salaire pendant une durée maxima de treize semaines. L’assurance est donc boiteuse ; car la moitié du salaire peut parfois ne pas suffire, et les treize semaines sont souvent dépassées par la maladie ou la convalescence. Les femmes en couches, assimilées aux malades, ont droit aussi, mais pendant trois semaines seulement, à une indemnité de la moitié du salaire. La prime d’assurance à payer par l’ouvrier varie suivant les localités ci les caisses ; elle va, d’ordinaire, de 1 1/2 à 2 pour 100 du salaire : dans les caisses de fabrique où l’on s’occupe par surcroit des femmes et des enfans d’ouvriers, la retenue monte souvent jusqu’à 3 pour 100 et la cotisation du patron fournit moitié en plus. Une loi complémentaire de 1886 permet de prendre des dispositions pour l’ouvrier rural ne travaillant pas habituellement chez le même patron ; mais ici les difficultés sont assez grandes et on ne peut dire qu’elles aient été surmontées.

Tels sont les traits généraux de cette organisation. Elle séduit un certain nombre d’esprits ; elle n’en a pas moins des inconvéniens graves, et spéciaux et généraux. D’abord, elle ne tient pas ce qu’elle promet, ce qui est un grand vice pour une institution d’état ; elle n’embrasse pas, en effet, toutes les personnes qui vivent d’un labeur professionnel ; et elle sert des indemnités, parfois ou trop réduites, ou pas assez prolongées. Elle fait beaucoup moins que no faisaient la plupart des grandes entreprises individuelles bien menées. Celles-ci continuaient les secours même au-delà de la période réglementaire et infranchissable de treize semaines. On n’a qu’à lire l’Enquête décennale des institutions d’initiative privée dans la Haute-Alsace[1]pour être étonné de tout ce qu’avait fait le zèle individuel et du peu que réalise la contrainte gouvernementale. Si l’on considère notre France actuelle, les sociétés de secours mutuels, en 1884, comptaient 1,072,000 membres participans et en outre 175,603 membres honoraires ; ces derniers, l’assurance obligatoire d’état les supprime indirectement ou les fait graduellement

  1. Publication de la Société industrielle de Mulhouse, 1878.