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fort exposée à des accidens, par la nature du produit qu’elle fabrique, ayant été condamnée en première instance à payer des indemnités très fortes aux familles d’ouvriers tués, invoqua, en appel, les tarifs proposés dans la loi française à l’étude et fit réduire, grâce à cet argument, dans des proportions considérables les sommes qu’elle devait verser aux familles des victimes. Voilà un cas, et nous en connaissons quelques autres de ce genre, où la loi soi-disant protectrice a tourné contre ceux qu’elle voulait protéger. Une loi n’est qu’une abstraction, un texte mort, une moyenne : elle favorise les uns, d’ordinaire ceux qui sont le moins dignes d’intérêt ; elle réduit les autres, souvent ceux qui mériteraient le plus la sympathie. Sans recourir à la contrainte, on arriverait, d’une manière à peu près aussi sûre et aussi prompte, par une bonne justice, à réparer les accidens professionnels ; et l’on aurait, sous le régime souple et inventif de la liberté et de la responsabilité personnelle, beaucoup plus de chances de les prévenir.

La loi allemande pour l’assurance obligatoire des ouvriers contre la maladie, quoique présentée plus tard, a été votée avant celle contre les accidens. Comme la précédente, elle a le défaut de n’embrasser qu’une partie de la population laborieuse. Elle impose à tous les ouvriers de l’industrie l’obligation de s’assurer contre les risques de maladie en s’affiliant à une caisse de secours ; c’est à la judicieuse résistance des progressistes et du groupe du Centre qu’est dû le choix de la caisse laissé à l’ouvrier. Mais qu’est-ce que l’ouvrier et pourquoi s’en tenir à lui ? Tout le monde n’est-il pas digne d’une protection égale ? Le petit employé, le petit fonctionnaire, la partie inférieure des professions libérales, le maitre de langue, la maîtresse de piano, la lingère à domicile, tous ceux-là sont laissés en dehors. Tel est le vice irrémédiable d’une législation de classe : elle ne tient pas compte des gradations intimes et imperceptibles qui existent dans la société moderne ; elle l’ait une cassure nette dans un milieu qui ne comporte rien de pareil. La loi allemande ne s’applique, en général, qu’aux ouvriers, non aux femmes et aux enfans, dont la maladie est pour la famille ouvrière une cause de grande gêne.

Grâce à l’action des groupes libéraux du Reichstag, la loi sur l’assurance obligatoire contre les maladies s’est efforcée de respecter l’esprit local et corporatif. C’est le type d’assurance communale qui prévaut. Les communes peuvent se grouper en associations ou en unions. Les établissemens qui occupent plus d’un certain nombre d’ouvriers peuvent avoir une caisse spéciale ; ils y sont même obligés dans certains cas. Les corporations d’artisans peuvent aussi avoir les leurs. Les ouvriers peuvent former des caisses