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par le jeu aisé d’une caisse privée et locale, devient l’objet de toute une paperasserie administrative. En 1886, l’application de la loi a entraîné 2,324,299 marks (l’administration pour 1,711,699 marks payés en indemnités : les quatre septièmes environ des primes sont donc perdus pour les victimes. Ce n’est encore là, pourtant, qu’un des vices accessoires du système. Les vices principaux sont les suivans : d’abord la réalité de la loi est en contradiction avec ses prétentions ; une grande partie, en effet, des travailleurs, soit artisans, soit agriculteurs, soit petits propriétaires ruraux, soit petits entrepreneurs, tous exposés à des risques professionnels divers, ne bénéficient pas de l’organisation qui semble faite surtout (et c’est la nature des choses qui le veut) pour les ouvriers de l’industrie manufacturière. Ensuite, l’intérêt de l’ouvrier et du patron à prévenir les accidens se trouve sensiblement diminué : l’indemnité étant déterminée d’avance, dans les principaux cas, par la loi elle-même, sans considération des fautes ou des imprudences commises par l’une ou l’autre partie, l’ouvrier a un moindre intérêt à prendre des précautions minutieuses. Le patron, qui ne répond pas seulement de son propre établissement, mais encore solidairement d’un grand nombre d’autres établissemens analogues, est beaucoup moins sollicite à adopter toutes les mesures, quelques-unes coûteuses, qui pourraient rendre les accidens plus rares. Cela est de toute évidence. Il n’est plus poussé à le faire que par la philanthropie presque désintéressée. Certaines sociétés privées se sont constituées soit en France, soit en Alsace, qui, par leurs efforts, avaient beaucoup réduit ces risques professionnels : la Société industrielle de Mulhouse notamment, fondée en 1867, qui fit diminuer dans la région, par certaines précautions et certains agencemens, les accidens de 60 pour 100 ; de même à Paris, l’Association des industriels de France pour préserver les ouvriers des accidens du travail ; un homme technique, philanthrope aussi, M. Émile Muller, l’a constituée ; quoique née en 1883 seulement, elle compte 500 grands industriels adhérais et s’étend à 60,000 ouvriers ; elle a établi beaucoup de sociétés filiales. Tout ce zèle va, sinon disparaître, du moins par la force des choses, devant cette organisation bureaucratique d’état, s’affaiblir. L’assurance obligatoire suivant le système allemand augmentera probablement le nombre des accidens, notamment des très petits qui entraînent le plus d’abus. Il arrive, d’autre part, que dans la généralité des accidens graves et où l’ouvrier n’est pas en faute, l’indemnité allouée par la loi allemande ou par la loi française en cours d’étude se trouve singulièrement moindre que celle qui était accordée par nos tribunaux : 20 pour 100 du salaire à la veuve, c’est souvent là une allocation très insuffisante. Il est à notre connaissance personnelle qu’une grande société industrielle,