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absolue incapacité de travail. En multipliant par 35, durée moyenne, supposée de la vie active de l’ouvrier, on arriverait à 11,375 décès et à 34,650 blessures, de sorte qu’un ouvrier, employé dans les mines, aurait, pendant toute une carrière de trente-cinq années, une chance sur vingt-deux d’être tué et une sur sept environ d’être blessé, au moins légèrement. On comprend donc que la législation sur les accidens est d’une importance considérable pour les ouvriers. Cette législation, dans la plupart des pays, était restée indifférente. Avant 1880 la loi anglaise, avant 1871 la loi allemande, ne venaient pas au secours de l’ouvrier atteint d’accident professionnel. La loi française se montrait plus humaine et plus généreuse, ou, du moins, notre jurisprudence, développant un principe général de notre code, admet que le patron est tenu de réparer les conséquences du préjudice que subit l’ouvrier blessé ou sa famille, si l’accident provient d’un vice quelconque des installations, de l’imprudence ou de la négligence même la plus légère d’un surveillant, d’un contremaître ou d’un autre ouvrier faisant partie du même atelier. La seule difficulté consiste en ce que, conformément aux principes généraux de notre droit, la preuve de la faute incombe aux plaignans, c’est-à-dire à l’ouvrier, qui n’est pas toujours en état de la faire. Mais, d’ordinaire, les dispositions sympathiques des tribunaux atténuent les inconvéniens de cette situation. On peut, d’ailleurs, discuter la question de savoir s’il ne faudrait pas, pour les industries exposées à des risques fréquens, renverser l’obligation de la preuve et la transférer de l’ouvrier au patron. En fait, on peut dire que la presque universalité des accidens survenant dans les ateliers mécaniques est en France largement indemnisée. Dans les industries qui sont le plus assujetties à ces risques, dans la fabrication d’explosifs, par exemple, dans beaucoup de mines et de carrières, les sociétés ou les patrons individuels ont pour habitude de constituer des réserves spéciales pour pourvoir aux accidens qui se produisent sans périodicité régulière, mais quelquefois avec une intensité terrible, bien autrement malheureux, sont les simples ouvriers isolés ou les petits entrepreneurs autonomes qui. sans patron, se livrent à des tâches souvent dangereuses : bûcherons, charretiers, maçon ou couvreur à la campagne, petit propriétaire, etc. La plupart de ceux-là ne peuvent tirer aucun secours d’une organisation légale quelle qu’elle soit. Leur seule ressource est de s’affilier à quelque société libre ou de faire eux-mêmes, par un prélèvement anticipé et continu sur leurs gains, la part des cas fortuits.

La loi allemande sur les accidens a eu la prétention d’indemniser tous les risques professionnels ; mais, en réalité, et c’est dans la nature des choses, elle en laisse beaucoup de côté. Au lieu