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d’états pourraient donc être inefficaces ou nuire à la prospérité de la nation. Cet aveu est précieux, il détruit toutes les espérances de ceux qui veulent restreindre par la loi le travail des adultes. Comment peut-on, en effet, dans ce temps, compter sur l’accord complet des nations, de toutes sans exception, pour appliquer un régime minutieusement semblable à toutes leurs industries ? Aujourd’hui que les peuples cherchent à se séparer le plus possible, les uns des autres, par des barrières artificielles, que la théorie protectionniste est en pleine floraison, qu’on ne peut plus faire voter un traité de commerce précis par deux nations importantes, que le sentiment de l’indépendance nationale et législative est devenu chez tous les peuples si étroit et si jaloux, le lendemain du jour où échouent toutes les tentatives pour une union monétaire, pour la suppression des primes à la production du sucre, comment rêver que les nations vont tomber d’accord sur le code le plus compliqué, le plus détaillé qui soit, celui du travail ? Mais c’est la ressource des populations pauvres, la Belgique, l’Italie, dans une certaine mesure l’Allemagne, à plus forte raison les Indes, d’avoir des heures de travail plus prolongées que les peuples riches, l’Angleterre et les États-Unis. Mettez les uns et les autres au même salaire et au même labeur, les peuples pauvres ne pourront plus soutenir la concurrence. Puis, y a-t-il une mesure commune de tous les travaux sur tout l’ensemble de la planète ? On ne tient pas compte de ces différences si capitales de l’intensité du travail, de la diversité des machines, de l’inégalité de force et de précocité dans les diverses races humaines. N’y a-t-il qu’un seul échantillon humain sur le globe ? L’adolescent hindou occupe dans une filature de Bombay, le jeune Persan qui, du matin au soir, tisse des tapis, la jeune fille italienne qui est employée dans une filature de soie ou de coton, le solide et un peu pesant garçon de Rouen, l’ardent petit Yankee à l’attention concentrée, le jeune Anglais âpre à la besogne, demain l’homme jaune, le Chinois, le Japonais, l’un à la vie sobre et dure, l’autre à l’esprit ingénieux et élégant, est-ce que vous pouvez soumettre tous ces êtres aux mêmes règlemens pour leur tâche quotidienne ? L’idée d’une législation internationale uniforme qui s’appliquerait aux travailleurs dans tous les métiers et sur toute la planète ressemble de fort près au fameux calendrier républicain qui supposait que les saisons se présentaient uniformément a la même date sur toute la surface de la terre et qui ne se doutait pas que le messidor ou le fructidor de France correspondait aux frimas et aux ensemencemens des antipodes. Grâce au ciel, le monde terrestre, si petit et si étroit qu’il soit, offre encore de la variété, et cette variété, c’est la condition même de la vie et du progrès. On veut l’étouffer sous le poids de règlemens internationaux ; la