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l’état, constituant une très grande part, on peut dire la plus grande part de la nation. Par égoïsme, ou même simplement par nécessité, sous le régime de la libre concurrence industrielle, les acheteurs de travail tendent à rendre de plus en plus misérable la condition des travailleurs. Ces misères qui, à en croire le docteur Adler, seraient ou nouvelles ou singulièrement aggravées de notre temps, sont au nombre de neuf : 1° le travail régulier des enfans dans les fabriques ; 2° le travail régulier des femmes dans les mêmes lieux ; 3° la durée parfois extraordinairement longue de la journée de travail pour tous les ouvriers en général ; 4° le taux souvent excessivement, bas du salaire des ouvriers non qualifiés, c’est-à-dire dont la besogne n’exige pas d’apprentissage ; 5° le chômage temporaire et, par suite, la privation du salaire pour les ouvriers qui sont capables de travailler et disposés à le faire ; 6° l’incapacité du travail, et l’absence de moyens d’existence, par suite d’accidens dont l’ouvrier peut difficilement, parfois même aucunement, se faire indemniser par le patron ; 7° la même incapacité provoquée par la maladie ; 8° la vieillesse prématurée, besogneuse, que la bienfaisance publique, toujours dégradante, est impuissante à soulager ; 9° enfin, la misère sordide des habitations ouvrières souvent, malsaines, qu’une honteuse exploitation force parfois les ouvriers à louer très cher.

Nous ne nous attarderons pas à examiner si tous ces maux sont bien aussi nouveaux que nombre de personnes semblent le croire, si, par exemple, on doit regretter les infectes ruelles et les étroites maisons où s’entassaient, il y a un siècle, les ouvriers et même les petits bourgeois. Notre examen se portera seulement sur les premières des plaies qu’on nous dénonce et sur les lénitifs que les médecins sociaux emploient à les guérir.

Nous prenons toujours pour guide M. Adler, simplement parce qu’il a systématisé les récriminations qui s’élèvent aujourd’hui dans les deux mondes contre l’ordre industriel libéral. C’est le travail régulier des enfans et des femmes dans les fabriques ainsi que la durée réputée excessive de la journée de labeur qui attirent surtout les plaintes. Le patron, nous dit-on, trouve un bénéfice à remplacer les ouvriers mâles par des femmes, puis même celles-ci par des enfans ; ces travailleurs ont moins de besoins, moins de frais d’existence, par conséquent ils se contentent de salaires moins élevés. Mariée, la femme ne demande à la fabrique qu’un supplément au salaire du mari, devenu insuffisant à l’entretien de la famille ; c’est aussi un appoint, dont on ne se donne guère la peine de discuter le chiffre, qu’apportent les enfans au ménage des parens. La productivité du travail de ces ouvriers inférieurs, les femmes et les enfans, n’est, sous le régime des machines, guère inférieure à